26° Dimanche du TO*B Mc 9, 38-43.45.47-48
Frères et sœurs, la parole de Dieu qui nous est adressée aujourd'hui est particulièrement musclée. La seconde partie de l'évangile peut paraître incompréhensible, inacceptable : est-il vraiment question de s'arracher un œil, de se couper la main ou le pied ?!
La première lecture, du livre des Nombres, nous donne des clés pour comprendre cet évangile et l'accepter.
Cette première lecture est un texte tout à fait étonnant, complètement insolite au sein de toute la Torah, des cinq livres de la Loi de Moïse. Pourquoi ? Parce que dans toute la Loi, il n'est jamais question de prophètes, jamais, sauf une fois pour dire qu'il faut énormément s'en méfier et éventuellement les mettre à mort ! (Dt 13) La Loi a pour fonction de relayer le prophétisme au moment où celui-ci a disparu. Alors, dans ces cinq livres, il n'y a qu'un seul prophète, absolument un seul, Moïse, le plus grand des prophètes, un prophète comme il n'y en jamais eu d'autre, un qui parlait à Dieu face à face. Aucun autre prophète ne lui arrive à la cheville. Que vous soyez juif ou chrétien, tenez-vous-le pour dit !
D'alleurs, dans notre lecture, peut-être avez-vous remarqué deux petits détails qui vont dans ce sens. D'abord ceci : « le Seigneur… prit une part de l'esprit qui reposait sur Moïse et le mit sur les 70 anciens du peuple. » L'auteur montre clairement qu'il ne s'agit pas d'une inspiration céleste en direct : non, c'est une part de l'esprit DE MOÏSE qui est délégué, point. Second détail : « Dès que l'esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser… MAIS CELA NE DURA PAS ! » Bon ! On a compris…
Seulement voilà ! Moïse, lui, est vraiment prophète. Alors il laisse vraiment parler l'Esprit, et cela donne plusieurs paroles singulières, dérangeantes, très remarquables : par exemple celle que nous avons entendue, la conclusion de notre passage : « Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! » Tiens ! Tout un peuple de prophètes ! Vraiment ? Et puis, cet autre, bien connu, beaucoup plus connu des chrétiens, la référence est facile à retenir, Dt 18, 18, c'est le Seigneur qui parle à Moïse : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. » Dans le contexte du Deutéronome, quelle étrange promesse !
Alors la finale du livre, qui est aussi la fin de toute la Loi, tempère ces paroles risquées et déclare : « Il ne s'est plus jamais levé en Israël un prophète comme Moïse ! » (Dt 34, 10) Les premiers chrétiens pourtant y ont reconnu Jésus, un prophète comme Moïse, aussi singulier que Moïse, et différent de tous les autres…
Frères et sœurs, que retenir de tout cela pour aujourd'hui ?
Qu'il y a dans le judaïsme et qu'il y aura toujours au sein même du christianisme une tension très forte entre une religion qui se réclame de la Loi et une autre qui se réclame des prophètes. Et que c'est la TENSION même qui est juste et intéressante, parce que, justement, l'Écriture nous a conservé la Loi ET les Prophètes. Et la critique historique nous apprend que ce qu'on appelle la Loi est en réalité déjà une cristallisation de ce que des prophètes avaient dit en leur temps.
Alors, aujourd'hui encore, il y a des Josué qui viennent dire à Moïse, et des Jean qui viennent dire à Jésus : « chef, chef, il y en a qui font des trucs sans avoir leur carte tamponnée ! », et Moïse et Jésus, et aujourd'hui François ont pour mission inspirée de leur dire : « ah ! si tout le monde pouvait seulement être inspiré, et faire des miracles et guérir les malades, et faire eux-mêmes avancer le schmilblick sans compter seulement sur l'institution !! »
Reste la fin de notre évangile, celle qui est la plus choquante : les yeux arrachés, les mains coupées !
Certes, la formulation est vigoureuse, mais l'application devient plus transparente : 'eh, toi, Jean, le nouveau Josué, le justicier, au lieu d'aller faire la police dans les rangs d'à côté, occupe-toi un peu de tes yeux à toi, de tes mains à toi, de tes pieds à toi, fais un peu la police sur ta propre vie, car, toi aussi, tu en choques d'autres, avec ta manière de regarder partout, de vouloir agir et contrôler partout… Ferme un peu les yeux, joins un peu les mains, divise par deux tes déplacements, et ça va aller beaucoup mieux !'
À bon entendeur, salut.
Frères et sœurs, demandons à l'Esprit saint la grâce de devenir un peuple de prophètes, de discerner chacun dans notre propre vie les excès qui peuvent être corrigés avant de vouloir légiférer pour la terre entière.
frère David