19° Dimanche du TO*B Jn 6, 41-51

« Il a la vie éternelle, celui qui croit » Voilà une affirmation très réconfortante mais qui nous pose deux questions : Qu'est-ce que la vie éternelle et qu'est-ce que croire ? Dans sa simplicité, cette parole de Jésus est donc aussi inconfortable que réconfortante !

Commençons par ce qui paraît le plus difficile : qu'est-ce que croire ? Quand nous disons « je crois », qu'entendons-nous ? Ou plutôt, qu'est-ce que Jésus entend ? « Croire », est-ce « savoir que » ? Mais à quoi me sert de savoir qu'il y a un Dieu, qu'il est comme ceci et comme cela, qu'il fait ceci et cela ? Les démons le savent aussi et même mieux que nous ! Ils « savent » Dieu mais ils ne le connaissent pas parce qu'ils sont fermés à l'amour. Au lieu d'aspirer à la vie, ils aspirent à la mort éternelle, à un néant impossible à atteindre. Cette impossibilité est leur désespoir et leur rage ! Si encore ces diables de démons se contentaient de désirer l'anéantissement, mais, diables jusqu'au bout, ils cherchent à nous y entraîner avec eux. Ils ont bien cru y arriver quand ils ont conduit Jésus, le maître de la vie jusqu'à la Croix, mais ce fut pour eux une victoire à la Pyrrhus, la mort de Jésus a été leur défaite définitive, la mort ayant été vaincue par la résurrection de Jésus selon la chair et par sa présence vivante dans le pain de vie. Christian Bobin résume cela à sa manière quand il écrit : « La vérité n'est pas une idée mais une présence. Rien n'est présent que l'amour »

Essayons précisément de comprendre quelle différence il y a entre dire : « Je crois que Jésus est présent » et dire : « Je crois Jésus qui est présent. » Je crois que Jésus est présent peut simplement vouloir dire, je crois qu'il est là comme ce pot de fleur ! Mais si je dis « je crois Jésus » j'affirme que sa parole me touche et qu'elle est vraie. Et si je dis « je crois Jésus qui est présent » je m'aperçois et je réalise que Jésus est présent et que moi aussi je suis présent et que nous pouvons entrer en relation, en dialogue, en conversation familière avec lui. Comme le paysan à qui le saint Curé d'Ars demandait comment il priait : « je l'avise et il m'avise » répondit-il. Croire Jésus qui est présent nous rend du même coup « présents » nous-mêmes (Oui, croire nous rend présents). Et non seulement nous devenons présents, réellement présents, et qui plus est, nous devenons un présent, un don, un cadeau, comme lui-même, Jésus, est le présent, le don, le cadeau que Dieu nous fait.

Croire c'est être présent ici et maintenant (et non ailleurs, dans les idées, les rêves, les constructions intellectuelles ou techniques) Croire, c'est aussi être un présent, être ce cadeau offert par Dieu à mes frères. Enfin, croire c'est vivre le présent, l'aujourd'hui de Dieu. Comme le remarque saint Augustin, seul existe l'instant présent : l'instant passé n'est déjà plus, l'instant futur n'existe pas encore. La vie éternelle c'est l'instant présent qui n'a pas de fin. C'est pourquoi l'instant de la mort est si important, c'est l'instant du don total, comme Jésus le dit lui-même sur la croix : « tout est achevé »

Croire n'est pas une évasion, un rêve, qui nous consolerait de l'âpreté du réel par un futur imaginaire, c'est un enracinement dans le réel, dans le présent. « Le Royaume de Dieu est là » nous dit Jésus. « Si l'on vous dit : il est par ici, il est par là, n'y allez pas… » Mais s'enraciner dans le présent n'est pas s'enfermer dans sa tour d'ivoire dans un comportement narcissique ou autistique, c'est vivre le présent de la relation d'amour avec l'univers et les êtres qui m'entourent et donc avec Dieu : il a la vie éternelle, celui qui croit, il a Dieu celui qui croit, celui qui vit présent.

Connaître Dieu est d'abord et avant tout une connaissance d'amour, ce qui nous autorise à une conversation familière avec Dieu. Celui qui est inconnaissable par nature se donne à connaître dans l'amour et cette connaissance d'amour nous transforme. Dieu est don par nature : il s'offre continuellement à nous dans le simple fait que nous respirons, dans les fleurs et l'herbe des champs, dans nos voisins agaçants qui prouvent par leur agacement que nous existons. Dieu s'offre à nous en tout temps et en tout lieu, ce qui fait dire à Madeleine Delbrêl : « Seigneur, vous êtes partout présent, comment se fait-il que nous soyons si souvent ailleurs ? »

Nous pouvons commencer à comprendre l'affirmation de Jésus : « Il a la vie éternelle celui qui croit » Si croire est cette présence de Dieu et de nous-même par la médiation de Jésus, croire est dès à présent partage de la vie éternelle, partage qui a son sommet dans la communion au corps et au sang de Jésus.

Je voudrais conclure par cette autre citation de Christian Bobin : « Ce ne sont pas les botanistes qui connaissent le mieux les fleurs, ni les psychologues qui comprennent le mieux les âmes, c'est le cœur. Le cœur est le plus puissant organe de connaissance, et c'est une connaissance qui se fait sans aucune préméditation, comme si ce n'était plus nous qui faisions attention à l'autre, comme s'il n'y avait plus qu'une attention pure et une bienveillance fondée sur la connaissance de notre mortalité commune. » Par sa mort avec nous, Jésus nous donne la Vie éternelle.

Fr. Pierre