14° Dimanche du TO*B Mc 6, 1-6

Sœurs et Frères, les Évangiles sont muets sur une longue période de la vie de Jésus : les 30 ans (et même un peu plus) de Sa vie cachée à Nazareth.
Pour entrer dans le mystère du Christ, il n'est pas utile de savoir comment se sont passées ces années. Le Pape François appelle cela de la curiosité.
Par contre, lorsque ce temps est au cœur d'un passage d'Évangile comme celui d'aujourd'hui, nous pouvons considérer le poids d'incarnation du Christ sur notre terre et le méditer dans le secret de notre prière ; ce qui est tout autre chose que de chercher à savoir ce qui s'est passé.

Jésus enseigne dans la synagogue de Nazareth. Beaucoup d'auditeurs, frappés d'étonnement, disaient : d'où lui vient cette sagesse, ces miracles ? N'est-il pas le charpentier, le fils de Marie ? Ses frères et sœurs ne sont-ils pas chez nous ? Et ils étaient profondément choqués à son sujet.
Nazareth était une bourgade d'environ 50 lieux d'habitation et tous se connaissaient.
Ils sont profondément choqués par le différentiel qui existe entre cet homme qu'on a vu grandir, "bien de chez nous" comme on dirait, et ce qu'Il dit : des paroles de grande sagesse, et les miracles qu'Il accomplit.
C'est que Jésus n'a pas fait semblant d'être un homme de notre terre.
Comme l'écrivait Syméon le Nouveau Théologien : il « s'est montré totalement homme, en n'offrant aux regards rien de plus que les autres hommes. Il a mangé, bu, dormi, transpiré et s'est fatigué … ».
Jésus n'était pas un petit enfant merveilleux, auréolé de lumière, qui faisait revivre les oiseaux morts parce que cela lui faisait de la peine. Quand il tombait, il se faisait mal et il avait un bleu après !
Ne sourions pas trop vite ; au début de ma vie monastique, j'ai entendu un jeune Abbé – devenu par la suite un Abbé important dans sa Congrégation – dire que Jésus étant Fils de Dieu ne pouvait pas être malade et n'avait jamais eu la grippe ! Il a fait ensuite machine arrière, après avoir dialogué un peu âprement avec des frères.              
Pour les habitants de Nazareth, la distance est trop forte, inconcevable : leur connaissance au quotidien de Jésus les empêche d'entrer dans Son mystère.       

Avec cela, regardons notre Évangile de plus près. Quand saint Marc fait dire aux auditeurs de Jésus : « N'est-il pas (…) le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? », c'est très intéressant.
Il y a l'absence de Joseph – pour cela lisez les notes de vos Bibles ! C'est pour les croyants destinataires de l'Évangile de Marc comme un silence dans une partition très sonore et contrastée ; un silence qui donne à penser … surtout si vous allez voir les passages parallèles chez Matthieu et Luc.
Il y a la mention de Marie, sa mère : c'est la seule mention du nom de Marie dans l'Évangile de Marc.
Il y a enfin le poids des autres noms : Jacques, José, Jude et Simon. Le poids biblique de ces noms : Jacob – Joseph – Juda et Simon ; donc Jacob et ses enfants. Cela enracine la famille de Jésus dans la foi d'Israël … et cela fait tilt pour les habitués du livre de la Genèse.

Il nous faut donc prendre au sérieux ce qu'écrivait saint Paul aux Philippiens : le Christ est devenu semblable aux hommes et a été reconnu à son aspect comme un homme.
Et nous rappeler cet abîme qui existe entre Celui par qui tout a été fait – comme nous le fait dire le Credo de Nicée-Constantinople – et cet homme devenu semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme. Eh bien, cet abîme est assumé par le Christ et c'est un prodige.
Dès lors, nous comprenons mieux le lien qui existe entre ce que nous méditons et ce passage de saint Matthieu : ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. Appelons cela une Incarnation de surcroît.

Frères et sœurs, à cette lumière, reprenons, goûtons, méditons longuement le Prologue de l'Évangile selon Saint Jean :
Le Verbe auprès de Dieu. Le Verbe qui est Dieu. En Lui est la vie.
Par lui tout est venu à l'existence et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui.
le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous. Il est venu chez Lui.
Et allons jusqu'au bout de cette logique, qui est un prodigieux retournement :
le Verbe de Dieu fait homme nous donne de devenir enfants de Dieu, de devenir nous-mêmes fils et filles de Dieu ; dès lors, nous sommes nés de Dieu.

Enfin méditons ces lignes du Père Serge de Beaurecueil, dominicain, qui a vécu tant d'années à Kaboul – et qui sait ce qu'il en est de la vie cachée – :
Verbe de Dieu, on vous voit dans nos rues, tel l'un de nous, et rien de plus. Vous travaillez, vous fécondez notre terre. Nos gestes sont devenus les vôtres : manger, dormir, peiner et sourire. Nos gestes d'hommes, même les plus banals, sont devenus divins. Il nous suffit de les faire pour faire ceux du Verbe. Et le Père retrouve dans les gestes des hommes ceux de son Verbe incarné.

Fr. Jean-Jacques