13° Dimanche du TO*B Mc 5, 21-43

Frères et sœurs, venons-nous d'entendre deux récits, distincts, mais simplement et fortuitement juxtaposés, ou bien une seule et même histoire ? Quel titre donner à ce passage un peu long de l'Évangile ? Quel épisode mettre en avant : la guérison de la femme hémorroïsse ou le retour à la vie de la fille de Jaïre ? Je crois qu'aucun de ces choix n'est satisfaisant. Chacun de ces miracles, certes, peut avoir du sens de manière autonome, mais je crois que nous avons tout intérêt à les entendre tels qu'ils nous sont donnés textuellement, c'est-à-dire tellement enchâssés l'un dans l'autre qu'il n'est pas possible, et sûrement très dommageable, de les séparer.

Les deux situations et les deux démarches ont l'air différentes, et même opposées. Voyant sa fille à la dernière extrémité, un chef de synagogue, personnage important dont on connaît le nom, Jaïre, une sorte de notable donc, vient au devant de Jésus, au bord de la mer, fend la grande foule assemblée autour de lui et, tombant à ses pieds, supplie Jésus de venir chez lui la sauver. La femme hémorroïsse, dont on ignore le nom, profite au contraire de la foule pour passer inaperçue et s'approche de Jésus par derrière pour toucher son vêtement sans rien dire. Et pourtant, les deux démarches aboutissent ; premier enseignement : il n'y a pas une seule façon de s'approcher de Jésus et de le prier pour être exaucé !

Par contre, il est inévitable qu'une rencontre personnelle ait lieu, ou du moins qu'une relation personnalisée s'établisse avec Jésus. La foule, même si elle peut en créer l'occasion, doit toujours finir par être remise à sa place, comme mise à distance, pour que sur ce fond-là émerge la singularité des personnes et de Jésus lui-même. « “ Tu vois bien cette foule qui t'écrase, et tu demandes : 'Qui m'a touché ?' ” Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela. » Et plus tard, chez Jaïre, voyant « l'agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris », Jésus « met tout le monde dehors (…) puis il pénètre là où reposait l'enfant. »

Relation personnelle donc, mais ce n'est pas tout : relation qui passe par le corps, relation concrète, réelle, incarnée, d'où l'importance du toucher, ne serait-ce que par la médiation du vêtement. Il est remarquable qu'on nous dise d'abord que la femme « ressentit dans son corps qu'elle était guérie de son mal », avant d'ajouter que « aussitôt Jésus se rendit compte qu'une force était sortie de lui. » Cette expérience de Jésus, qui n'était pas volontaire de sa part, qui lui a été en quelque sorte imposée voire extorquée par cette femme, elle semble agir en lui comme une révélation. On peut se demander si cette prise de conscience n'est pas pour quelque chose dans la suite où, chez Jaïre, Jésus de lui-même « saisit la main de l'enfant » pour la relever.

Et finalement Jésus, tout au long de cet enchaînement d'événements, va mettre le doigt sur ce qui n'apparaît pas tout de suite comme une évidence, mais qui pourtant motive et explique tout : la foi ! « Ma fille, ta foi t'a sauvée. » C'était quoi sa foi ? C'était de se dire en elle-même : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » Avouons-le, nous aurions tendance à juger cette foi, à la déprécier en la qualifiant de simple superstition. Elle pourrait être un bon point de départ, mais il faudrait que Jésus la corrige, l'approfondisse, la purifie. Désolé, mais il ne le fait pas ! « Va en paix » : il la renvoie, sans conditions ni consignes supplémentaires et curieusement, il ajoute « et sois guérie de ton mal », alors qu'en fait cela s'est déjà réalisé presque malgré lui ! En fait, il acquiesce à cette guérison, il l'authentifie comme “valide” (entre guillemets) et conforme à sa volonté.

Ça, c'est pour la foi de la femme hémorroïsse. Quant à Jaïre, Jésus ensuite, fort de l'exemple de cette femme, va l'appeler à son tour à la foi : « Ne crains pas, crois seulement », comme s'il lui disait : “Fais comme elle”. Et dans ce « crois seulement », on retrouve d'ailleurs l'adverbe que la femme utilisait elle-même : « si je parviens à toucher seulement son vêtement… ». Oui, la foi, elle est peut-être dans ce “seulement” : un petit rien, une confiance et une espérance un peu folles, mais qui changent tout. C'est ce que saint Paul a entendu : « Ma grâce te suffit. » (2 Co 12, 9) C'est ce que nous disons à chaque messe en reprenant les paroles du centurion : “Dis seulement une parole, et je serai guéri.”

Au final, la Bonne Nouvelle qui se dégage de ce double récit pris dans son ensemble, c'est que la foi, bien que personnelle (propre à chacun sans qu'on puisse la juger ni la classer) n'est pas non plus individuelle, elle est mystérieusement communionelle. Dans la communion des saints, la foi des uns s'imbrique dans celle des autres, elle s'y appuie, elle y apprend, elle la conforte, elle en bénéficie sans qu'on sache forcément d'où nous vient tel ou tel profit.

La femme hémorroïsse, cachée dans la foule, a peut-être vu Jaïre tomber aux pieds de Jésus et c'est le même geste qu'elle imite lorsqu'une fois guérie elle se fait connaître de lui. Jaïre, à l'invitation de Jésus et comme la femme l'a fait, accepte de croire seulement, et c'est sa fille qui en est relevée, elle dont on ne saura jamais le nom, pas plus que celui de la femme. Sauf que la mention de son âge, 12 ans, établit quand même une relation entre la jeune fille, qui va désormais avoir ce qu'ont les femmes, vivre et pouvoir donner la vie, et la femme hémorroïsse, que ses pertes de sang, depuis 12 ans, rendaient impure et inféconde. On a envie de s'exclamer : “Échange merveilleux !” Justement, il est temps de rendre grâce dans l'Eucharistie, puisque dans sa dernière consigne, Jésus « leur dit de la faire manger. »

Amen.

fr. Jean-Roch