1° Dimanche de Carême (B) Mc 1, 12-15
Les plus anciens se rappelleront qu’en ce dimanche monsieur le curé montait en chaire pour lire le « Mandement de Carême » de Mgr l’évêque qui rappelait les règles du jeûne et de l’abstinence. Déjà, quelques jours auparavant, au soir du Mardi Gras, les cuisinières avaient effacé toute trace de gras des poêles et des marmites en les frottant avec la cendre du foyer et il faudrait attendre le saint jour de Pâques pour sortir de la resserre lard et jambon, andouilles fumées et saucisson. C’était l’époque où les hommes devenaient insupportables.
Puis les temps ont changé et les « privations de carême » sont devenues plus sélectives : tabac, télévision, loisirs. Mais le carême demeurait affublé de ce qualificatif « temps de privations et de renoncements » qui le rendait peu attrayant, voire rébarbatif.
C’est le pape Paul VI qui a souligné que le carême est d’abord un temps de joie où les « mines de carême » ne sont pas de mise. Si le carême est un temps de combat, c’est un combat joyeux parce que nous y accompagnons Jésus jusqu’à la victoire totale sur le mal et la mort ! « Si tu jeûnes, parfumes-toi la tête » dit Jésus, et quel plus agréable parfum que celui d’un sourire qui éclaire le visage ?
Le carême est un temps qui nous est offert pour nous imprégner de la bonne odeur du Christ, du parfum de l’évangile et de le répandre. Rappelons-nous la femme qui brise un flacon de parfum très précieux sur les pieds de Jésus et toute la maison en est remplie. De même, notre appartement, notre résidence, notre bureau, notre village, seront remplis de ce parfum. Ne sommes-nous pas plus légers quand, le matin, nous respirons l’odeur de l’herbe mouillée, du thym et du chèvrefeuille ? A plus forte raison si nous respirons la délicate senteur de l’évangile de l’amour. Alors nous pourrons laisser les lourdes semelles de plomb de nos résolutions jamais tenues, pour courir, légers, comme portés par des anges. Et saint Paul se réjouira en voyant réalisé son vœu : « vous êtes la bonne odeur du Christ »
Il est remarquable que Marc ne nous dit rien des tentations de Jésus telles que les décrivent Matthieu et Luc, mais il nous dit seulement qu’il est tenté par Satan et que les anges le servent. Pardonnez-moi, mais j’ai envie d’imaginer, pour servir Jésus, des anges musiciens, des anges faisant des cabrioles pour lui rappeler la joie de la cour céleste face à la lourdeur des séductions de Satan. Tout l’art de Satan est de transformer nos désirs en tentations. Et les tentations humaines sont lourdes, c’est de la grosse ficelle : l’argent, le sexe, le pouvoir et la goinfrerie, toutes tentations qui engendrent la violence. Seule la joie a assez de force pour résister à la tentation, ce que saint Paul dit et redit à ses chers Philippiens : « que votre joie soit connue de tous les hommes ! »
La joie évangélique est d’autant plus profonde et communicative qu’elle est un don, un fruit de l’Esprit de Jésus. C’est le trésor, c’est la perle de l’amitié avec Jésus. Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis. C’est au moment le plus dramatique de sa vie, la veille de sa mort, que Jésus fait à ses disciples le don de cette joie. La joie est la toile de fond sur laquelle les épreuves viennent broder la tapisserie de l’amour fraternel.
Si l’on tient à parler de « résolution de carême », cela ne pourrait-il pas être celle-ci : demander à Jésus avec douce insistance, le don de la joie, ce torrent issu du cœur de Jésus, joie qui nous fera inventer toutes sortes de surprises à offrir au Père, surprises prélevées sur les dons qu’il ne cesse de nous faire. Peut-être alors connaîtrons-nous la « joie parfaite » de saint François, le Poverello d’Assise et nous pourrons dire avec le prophète Néhémie : « la joie du Seigneur est notre rempart ! »
Fr. Pierre