Profession solennelle des frères Guillaume et Augustin

 

 

Homélie de la profession solennelle de ff. Augustin et Guillaume :

Sg 6,12-16 / Col 3,12-15 / Lc 24,13-33

Frère Guillaume, frère Augustin, vous avez choisi ces lectures que nous venons d'entendre, et elles sont très belles, tellement appropriées pour le jour de votre engagement dans la vie monastique. Aujourd'hui, Dieu vous appelle tous les deux, comme il l'a fait tant de fois dans l'histoire biblique, et particulièrement dans les évangiles. Comme les deux disciples d'Emmaüs qui marchent vers Jérusalem, vous cheminez sur cette route de l'existence, en quête de celui qui est la Sagesse incarnée, le Christ, figure resplendissante qui se laisse trouver par ceux qui le cherchent, lui qui vient à leur rencontre, les rejoignant dans leurs aspirations, dans leurs questionnements sur le sens de la vie. Nous, nous espérions que c'était lui qui allait délivrer Israël. Comme Cléophas et l'autre disciple, il peut vous arriver, à vous aussi, de douter sur ce chemin de la foi. La vie chrétienne, et la vie monastique, ne sont pas exemptes de combats et de luttes intérieures. La foi n'est pas un chemin facile et large, mais un sentier de crête, resserré. Le Christ lui-même a pris résolument cette route de Jérusalem, sachant qu'il allait donner sa vie pour le monde. Il rejoint tous ceux qui ont mis leurs pas dans les siens.

Il n'est pas bon que l'homme soit seul sur ce chemin. Il vaut mieux être deux, ou en communauté, afin de se soutenir, et de s'encourager. Le moine (monachos) est celui qui ressent au plus profond de lui une aspiration à atteindre le but ultime de la vie, et c'est pourquoi il oriente toute son existence en fonction de cet appel intérieur, se concentrant sur ce seul et unique objectif qu'est l'acquisition de la connaissance qui vient de Dieu. La vie monastique est une vie « philosophique », qui suppose « d'aimer la sagesse », et de ne choisir qu'elle et elle seule. Le moine chrétien croit que cette sagesse a pris corps dans la personne du Christ, avec qui il demeure en relation d'amitié. Le moine n'est donc pas un homme replié sur lui-même, quelqu'un qui fuit les autres. Il est au cœur du monde, vivant auprès de celui qui a donné sa vie pour l'humanité. Si saint Paul invite les Colossiens à avoir l'amour, le lien le plus parfait, on peut en dire autant des moines qui vivent en communauté. Ils aspirent autant à l'unité intérieure qu'à la communion fraternelle. Cette communion si souvent blessée, qui demande à chacun de pardonner à son frère.

Aux disciples d'Emmaüs, Jésus se montre d'abord comme quelqu'un qui n'est pas au courant des nouvelles qui circulent à Jérusalem. Il leur paraît étranger, car ils ne savent pas le voir tel qu'il est, trop accaparés par leurs tristesses, leurs replis, leurs déceptions. Il en est de même pour nous. Jésus est là, toujours présent auprès de nous, mais nos yeux sont aveuglés, empêchés de le reconnaître. Comme les deux disciples, il nous faut cheminer avec lui, l'écouter longuement nous parler de sa passion et de sa résurrection, pour que nos yeux s'ouvrent enfin dans la maison, en le voyant rompre le pain. C'est à la fraction, à la brisure du pain que notre cœur peut s'ouvrir, et que la lumière de sa parole peut vraiment se révéler. Jésus nous semblait être un étranger, mais c'était nous, en réalité, qui étions des étrangers sur ce chemin. Nous sommes, en cette vie, des pèlerins en quête d'hospitalité, des voyageurs en recherche d'une patrie meilleure, d'un pays, d'une maison qui nous accueille, d'une communauté qui nous ouvre ses portes. En venant au monastère, que l'on soit hôte de passage ou hôte permanent comme moine, chacun de nous fait l'expérience d'être reçu avec sa part d'étrangeté, de bizarrerie. De « lointains » que nous sommes, Dieu fait de nous ses « proches », quand nous le laissons entrer chez nous, dans notre maison intérieure. Celui qui cherche (la sagesse) dès l'aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Il ne tient qu'à nous de le recevoir, de le voir présent derrière les traits de nos frères qui nous paraissent être quelquefois des étrangers. Le Christ est à nos côtés, à nos portes, près de nous. Il est notre prochain. Un prochain qui peut parfois nous rebuter, nous agacer à cause son caractère si différent du nôtre.

Frère Guillaume, frère Augustin, vous allez dans un instant prononcer des vœux de conversion, d'obéissance et de stabilité. Conversion, car il vous faudra - comme les deux disciples - passer de la tristesse à la joie. Et si vous vous arrêtez sur ce chemin, des frères viendront, comme le Christ, à votre rencontre, pour vous inviter à vous remettre en route. Obéissance, car il vous faudra écouter ces mêmes frères ; ils vous aideront par leurs conseils, ou simplement par leur présence à vos côtés, sur ce chemin de la vie. Stabilité, car la route ne mène pas nulle part. Elle a un but, une destination. Une maison vous attend. Celle du monastère n'est que le signe de la véritable patrie qui vous est destinée. C'est là que vous pourrez enfin reconnaître celui qui a marché à côté de vous pendant votre vie, et que nous n'avez pas su toujours bien voir. Nous vous souhaitons de ne jamais vous décourager, de ne jamais cesser de marcher, toujours en quête de ce sens ultime de la vie. Soyez pour chacun de vos frères des présences vivantes du Christ, afin que vous puissiez comme lui les rejoindre, jusque dans leurs attentes les plus profondes.

En ces jours qui nous rapprochent de Noël, nous sommes comme les bergers qui suivent l'étoile dans la nuit de ce monde. Un astre nous précède, pour nous montrer ce chemin. C'est le Christ qui apparaît cette fois-ci sous les traits d'un enfant souriant, dans la crèche. Il est la Sagesse faite homme, assise à notre porte, il est le pain rompu pour nous. Qu'il nous revête de tendresse et de compassion les uns pour les autres, afin d'œuvrer à la paix et à l'unité dont le monde a tant besoin. Amen.

fr. Columba