Journée de prière pour les victimes d’abus dans l’Église

Méditation de Mgr Éric de Moulins-Beaufort (le 6 novembre 2021) :

Petit enfant qui pleure,

Petit garçon qui t'en étais allé servir la messe, plein de fierté, petite fille qui allais te confesser le cœur plein d'espérance du pardon, jeune garçon, jeune fille, allant tout enthousiaste à l'aumônerie ou au camp scout.

Qui donc a osé souiller votre corps de ses grosses mains ? Qui a susurré à votre oreille des mots que vous ignoriez ? Qui vous a imposé cette odeur qui vous imprègne ? Qui a fait de vous sa chose, tout en prétendant être votre meilleur ami ? Qui vous a entraîné dans son secret honteux ?

Petit enfant qui, à jamais pétrifié, pleure sous les voûtes d'une cathédrale, petit enfant des centaines de milliers de fois multiplié !

Quelqu'un t'a photographié. Il permet à beaucoup de te voir, de te regarder. Quelqu'un s'est reconnu en toi, a vu en toi l'image de sa destinée brisée, ravagée. Quelqu'un, en te découvrant un jour, a trouvé en toi un frère ou une sœur grâce à qui il allait pouvoir exprimer ce qu'il portait en secret, ce que tant et tant ont porté et portent sans trouver de mots pour le dire, sans trouver, et moins encore, de cœur pour les écouter.

Petit enfant qui pleure sur un pilier d'église, là où tu devrais chanter, louer, te sentir en paix dans la maison de Dieu,

Nous te regardons. Désormais, nous passerons devant toi en te voyant, en t'écoutant. Ô enfant bafoué, enfant humilié, enfant profané qui survit au fond de tant d'adultes ou adolescent suicidé, nous voulons apprendre à te regarder et à entendre le cri muet de ta souffrance.

Petits garçons, petites filles qui pleurez cachés dans les adultes que tous voient, adolescents murés en un silence qui vous a été imposé, nous vous devons cela. Nous vous le devons sous le regard de l'humanité, sous le regard de notre conscience, sous le regard du Christ notre Seigneur, que vous vouliez chanter de toute votre âme, de tout votre être, et devant qui à jamais vous pleurez.
Il est trop tard pour que nous puissions essuyer vos larmes. Il ne l'est pas de nous souvenir de vous. Votre image placée sous nos yeux, nous voudrions qu'elle imprègne nos âmes. Désormais, je ne peux entrer dans une église, pour y célébrer le mystère de la vie et de l'amour plus forts que la mort, sans porter le stigmate de votre visage qui pleure, si pauvre, si touchant, si seul, si désemparé, et si digne surtout. Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d'un enfant.

Petit enfant qui pleure, petite fille, petit garçon, adolescente, adolescent, moi, Éric, évêque de l'Église catholique, avec mes frères évêques et les prêtres et les fidèles qui le veulent bien, j'implore de Dieu en ce jour qu'il m'apprenne à vous être fraternel. « Ce que vous avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »


Message de Sr Véronique Margron (CORREF) pour cette journée :

Ce 3e dimanche de carême, la liturgie nous fait entendre ces versets au chapitre 3 du livre de l'exode quand Dieu parle à Moïse :

« Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » (…)
« J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j'ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. »

En ce même dimanche, l'Église catholique en France veut faire présentes à sa conscience, à sa vie, à sa foi, l'ensemble des victimes d'abus et d'atteintes sexuelles commis par ses membres. Ces 200 à 300 000 existences blessées, des années 50 à aujourd'hui.

Faire mémoire d'un peuple de vies brisées. Frères et soeurs du fils crucifié. Terre sainte, non par les crimes commis et les complicités coupables qui les ont déniés. Mais sainte car les larmes et les deuils de pan entier de vie qui ne purent se réaliser, les colères et le découragement de ce peuple, sont portés par le Dieu saint et juste. Lui a vu cette misère et l'a portée en son corps, sur Sa croix.
Faire mémoire de ces rapts de vie, d'insouciance, de confiance, de foi, c'est entendre la voix de l'enfant dans la personne de cette dame qui trouve l'immense courage de témoigner :

Ma toute première fois, c'était quand j'avais 5 ans, tu intervenais dans l'école pour nous apprendre les vraies valeurs de la vie.
J'y suis restée de 1958 à 1965.
J'y allais pour apprendre à lire, à écrire et pour avoir accès à la connaissance, pas pour baiser.
J'avais 5 ans et tu en avais 50.
Tu m'as tout pris. Tu as volé ma vie. Tu m'as détruite.
Tu as détruit ma vie la première fois que tu m'as violée. Je suis devenue étrangère à moi-même pour pouvoir survire sans affect, sans émotion.
Je suis une morte vivante pour la vie.
À 66 ans, je suis tellement vide que j'ai du mal à trouver les mots pour me révolter contre toi.
(Témoignage rapport de la Ciase - De victimes à témoins, octobre 2021, p. 37)

Ou cette personne, victime alors qu'elle était jeune religieuse,

« Le prêtre s'était immiscé dans le plus intime pour me dire que penser, que croire, qui être. Je n'étais qu'un modèle que lui me donnait à poursuivre, sans vie. Je devais être abandonnée à la volonté de Dieu me disait-il, dans une confiance aveugle, sans volonté propre, sans désir personnel. Peu importe ce qu'on fait de son corps ou du corps d'un autre, ce ne sont que des péchés de chair, disait le fondateur. Il suffit, juste après, de célébrer la messe, ce qu'il faisait, afin que tout soit pardonné, aseptisé, les mains lavées, comme l'avait fait Ponce Pilate ».

Alors en ce jour, tendons l'attention de nos cœurs. Des victimes de ces abominations, de ces crimes de l'âme autant que du corps sont à nos côtés, dans nos communautés, nos paroisses, parmi nos proches. Si nous savons retirer les sandales de nos pieds, nous faire plus petits, peut-être aurons-nous la grâce d'être authentiquement présents et le courage enfin de faire, mais pas sans vous.


« La vérité se dit dans la vérité de notre humanité, de nos comportements, de nos attitudes… » (Véronique Margron) :


Voir aussi : Emissions de la KTO