Décès du P. Guilhem (Joseph) Grandclaude

Samedi 11 mars 2023, au moment de célébrer les Vigiles de la Résurrection, notre frère Guilhem (Joseph) Grandclaude est parti vers la maison du Père. Il était âgé de 96 ans.
Homélie des obsèques de frère Guilhem (Rm 8,18-23 ; Jn 12,24-28)
Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Cette image tirée de la Création – que Jésus employait pour évoquer la mort et la résurrection –, cette image devait parler à frère Guilhem, qui cultivait les plantes et les fleurs, et avait appris aussi à greffer des arbres fruitiers. Nous lui devons notamment les aubépines du chemin d'En Jaurès, et également la première taille des catalpas, les arbres qui forment la magnifique allée du parking. Il savait ce que planter une graine voulait dire, et il était attentif au mouvement de la vie et à la beauté de la nature.
Il y a une autre chose que frère Guilhem cultivait beaucoup et même par-dessus tout, c'était son originalité. Et même disons-le franchement, sa marginalité. Il la cultivait, et l'entretenait, exactement comme on s'occupe d'une plante, en l'arrosant sans cesse, en y mettant de l'engrais. Cette originalité était une richesse, mais aussi sa plus grande limite. Atypique, il l'a été jusque dans les dernières années de sa vie, où il décida subitement de se laisser pousser la barbe et les cheveux, comme une nouvelle plante un peu particulière que – pour le coup – il n'y avait pas besoin d'arroser. Il le fit parce qu'il savait que cela pourrait en agacer certains. Comme un adolescent qui teste ses parents, il voulait voir la réaction des frères devant cette nouvelle lubie. En fait, le meilleur moyen de résister au frère Guilhem était…de ne pas chercher à lui résister. Sinon, il continuait à prendre un malin plaisir à jouer avec vos nerfs. Cette façon particulière d'être en relation avait tendance à l'isoler des frères. Il en souffrait, et en même temps, il cherchait cela, trouvant bien confortable de faire ce qu'il voulait. Par exemple, il aimait venir travailler à l'atelier de cithares le dimanche quand il n'y avait personne. Mais surtout pas la semaine ! Ou bien, il greffait des arbres en cachette, sans qu'aucun frère ne le sache... Bref. En lisant l'évangile d'aujourd'hui, je me dis que frère Guilhem n'a pas toujours su mourir à lui-même, et il s'est retrouvé finalement assez seul, comme le grain de blé dans la terre qui refuse de grandir pour porter du fruit.
Pourtant, il faut bien le souligner, frère Guilhem a porté du fruit malgré tout, surtout à l'extérieur de la communauté. En rendant le service de portier et d'hôtelier au prieuré de Marciron (ancienne fondation de Belloc), puis celui d'aumônier chez les moniales de Mas Grenier et du Rivet, il a pu déployer ses talents de prédicateur, et tisser des relations d'amitié. Sa nièce Anne-Monique (qui n'a pas pu venir aujourd'hui) m'écrivait qu'un jour, il lui avait dit à la porterie, comme une confidence après l'office de Complies : « Dieu est relation ». Cela montre bien que frère Guilhem cherchait la relation, mais il était trop blessé pour la vivre paisiblement avec ses frères. Il souffrait de cette mise à l'écart qu'il provoquait souvent lui-même, et de ne pas trouver sa place. Il avait, comme chacun de nous, soif d'être aimé pour ce qu'il était, dans une vraie relation, à l'image de celle de la sainte Trinité. Cela lui a été une épreuve, par exemple, de ne pas se sentir suffisamment visité quand il était à l'infirmerie, à la fin de sa vie. Plusieurs années auparavant, il disait ceci dans une homélie, à propos de l'épreuve : « Ceux qui reposent dans les cimetières ont trouvé le repos éternel : comme ils sont maintenant en pleine santé, les épreuves n'ont plus de raison d'être pour eux ; ils n'ont plus à êtres dépouillés de quoi que ce soit ». Il expliquait, en prenant une image médicale, que « celui qui demande au Seigneur de lui éviter l'épreuve est comme le patient qui, étendu sur la table d'opération, demande au chirurgien de ranger son bistouri ». Il est vrai que notre frère a connu l'épreuve de la fragilité physique, surtout les dernières années de sa vie, après plusieurs accidents de vélo. On peut dire que des épreuves, il en vécu lui-même, et il en fait subir aux autres.
Tout cela nous montre la complexité d'une existence, la difficulté de passer – comme dit saint Paul au Romains – de l'esclavage à la liberté véritable. Ce passage laborieux prend toute une vie. C'est le chemin étroit de l'évangile. La création a été soumise au pouvoir du néant, et elle attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, la délivrance de l'enfantement. Oui, la mort est une sorte d'accouchement. Frère Guilhem est passé dans un autre monde, et il n'est plus le même homme. Le grain de blé est tombé en terre, et il s'est enfin ouvert complètement, mort à lui-même pour laisser émerger la vie éternelle. Le gémissement des douleurs et de la souffrance fait maintenant place à la joie d'être accueilli comme le fils prodigue. Qui sème dans les larmes connaît la joie de la moisson.
Les textes que nous avons choisi aujourd'hui pour les obsèques de frère Guilhem nous montrent à quel point la vraie liberté est une question d'abandon et de lâcher-prise. Chacun de nous doit abandonner sa volonté propre, c'est-à-dire ce qui le ferme et le coupe des autres, comme ce grain de blé qui reste seul. Cela n'empêche pas de garder sa personnalité, mais celle-ci doit se vivre dans une relation vivante, et non dans le repli. La communion, à l'image de celle qui existe au sein de la Trinité, ne peut s'épanouir que lorsque les personnes – avec leurs différences – sont en relation, et non pas séparées les unes des autres. Demandons à Dieu la grâce de porter du fruit, et confions notre frère à sa miséricorde infinie. Amen.
Fr. Columba