Des humains fragiles

Editorial (novembre 2022)

Des humains fragiles

À l'heure où j'écris cet éditorial, mi-novembre, l'ouverture de la coupe du monde de football au Qatar approche, et en France, les révélations d'abus des évêques se succèdent. Quoi de commun entre ces deux événements si différents ? Rien, en apparence. Pourtant, dans les deux cas, il y a des hommes qui tombent d'un édifice, engendrant l'émotion d'un grand nombre. D'un côté, des travailleurs migrants qui meurent tragiquement, peut-être glissant du haut d'un échafaudage lors de la construction d'un immense stade climatisé, ou celle d'un palais somptueux destiné à accueillir des hôtes de marque. De l'autre, des évêques - à la tête de l'Eglise - chutent de la hauteur de leur situation, en révélant à quel point ils sont tombés dans le passé, laissant derrière eux des victimes blessées.

Une tour de Babel où se rassemble le monde entier parlant une seule langue - celle de la monnaie argent -, voilà ce que représente Dubaï aujourd'hui, comme d'autres grandes villes du Moyen-Orient, telles des nouvelles Babylone bâties sur l'or noir du pétrole. Sur cette plateforme où tout s'achète et se vend, au carrefour de deux continents, se retrouvent tous les bannis de la terre pour y « travailler ». Des hommes et des femmes venus d'Afrique ou d'Asie cherchent une pièce auprès des milliardaires, tels des esclaves dans le désert, en quête d'un peu d'eau. Ils y laissent leurs vies, sacrifiés à l'idole du jeu et de la gloire, afin d'assouvir le plaisir des spectateurs. Immolés sur l'autel de Mammon, ils sont dévorés par les bêtes comme les premiers martyrs chrétiens dans les stades de l'Empire. Nous savons que cette tour prétentieuse de Babel - qui veut s'élever vers le ciel - s'écroulera un jour, car elle a été bâtie sur le sang des esclaves migrants.

Dans nos contrées, comme en tant d'autres pays, un autre édifice semble s'écrouler sous nos yeux, celui de l'Eglise. Il n'en restera pas pierre sur pierre, dit Jésus en parlant du second Temple de Jérusalem. Ce verset nous fait frémir quand nous pensons à chaque pierre qui tombe, semblant faire chuter toute la structure. « Encore un, et en plus un évêque… ». Nous nous rendons compte à quel point les fondations de l'Eglise sont fragiles, et ce depuis le début. Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, dit le Christ, continuant d'aimer et de faire confiance à Simon, le pécheur repenti. L'Eglise, en effet, n'est pas une tour de Babel. Elle ne se construit pas vers le haut, mais vers le bas. C'est là sa force. Perpétuellement en crise, elle semble s'écrouler à tout moment. Les victimes nous montrent là où il faut regarder : vers la terre, de là où nous venons et où nous allons. Tout homme n'est qu'un souffle. Cessons d'ériger des murs d'idéaux ou des édifices de pouvoir desquels on risque de tomber. Ayons l'humilité d'être nous-mêmes, des humains fragiles en face de Dieu.

fr. Columba