Cliquetons des clics

La tour de Babel est bientôt achevée. Dans toutes les régions du monde, des millions de petites mains se pressent pour finir de bâtir une sorte de « conscience planétaire » qu'on appelle intelligence artificielle (IA). « Cliquetons des clics » serait un peu la transposition moderne de l'interpellation que se faisaient les habitants de la plaine de Shinéar (Gn 11) : « Allons, briquetons des briques, et flambons-les à la flambée » (« moulons des briques, et cuisons-les au four » ; traduction TOB).

Aujourd'hui encore, les « travailleurs du clic », des hommes des pays du Sud, mais aussi des femmes et des jeunes de nos contrées sont au service d'une immense machinerie invisible. Comme on entretient un feu avec des brindilles, ils travaillent toute la journée à des « micro-tâches » ingrates en alimentant une base de données qui servira à nourrir l'IA (cf. l'article sur le site internet de La Croix du 1er mai 2023). Car il est évident que cette « intelligence » ne sort pas de nulle part ; elle vient des hommes. L'outil qui semble être à notre service (ChatGPT pour le plus connu) cache en réalité un esclavage moderne dont nous sommes tous responsables. Chaque recherche apparemment insignifiante génère une énergie démesurée, invisible mais pourtant bien réelle avec son poids de carbone. Comme nos smartphones et nos ordinateurs, elle a demandé des efforts considérables qui ont épuisé tout autant les ressources humaines que naturelles.

L'outil devrait être au service de l'humain. Mais quand l'homme est au service de la machine, il en devient vite esclave, et la technique se transforme en idole. Nous fusionnons avec elle, en lui laissant notre conscience. Les frontières sont abolies, les langues aussi. Tout est brouillé. Et c'est ce qui arrive : les gens ne se comprennent plus, alors qu'il parlent tous le même idiome en utilisant internet. Babel : c'est bien cela qui se passe. En voulant bâtir une tour qui va vers le ciel, nous sommes dispersés à la surface de la terre. En voulant un outil qui soit à notre service, jusqu'à penser à notre place, nous en devenons esclaves, divisés en nous-mêmes. Gardons le contrôle. Ne laissons pas nos neurones à des machines qui asservissent les plus pauvres d'entre nous et qui détruisent notre maison commune.

Frère Columba