Jésus gravit une haute montagne. Il monte à la rencontre du Très-Haut. Le Fils monte, là où réside la gloire cachée du Père qui va bientôt se révéler à Pierre, Jacques et Jean. Le sommet de son ascension, c’est Jésus lui-même transfiguré devant ses disciples, c'est l'éclat de sa gloire originelle manifestée aux hommes qui annonce celle de sa résurrection et la nôtre. C'est la source divine éternelle qui se révèle pour montrer que la souillure de la croix ne l'emportera pas mais qu'au contraire notre condition de pécheur est promise elle aussi à la transfiguration comme le Christ. Et comment Jésus ne pourrait-il montrer autrement cela que par une attitude de prière ? Certes, l'évangile de ce dimanche ne le dit pas mais ne serait-il pas pour autant légitime de le supposer ?
Une prière si intense que le Père en dévoile sa face par son Fils et prie les hommes de l'écouter. Et le visage du Fils resplendit, « brillant comme un soleil » Sa prière le révèle au plus secret de sa vie d'intimité avec son Père qu'il donne à voir par sa face resplendissante et à entendre par la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le. » Vision lumineuse de la gloire de Dieu qui se montre, audition de la parole impérative qui se fait entendre ; vision et audition nous annonçant en quelque sorte que « dans la nuit de ce monde, le juste brillera ». Par cette prière supposée, Jésus nous révèle autant sa gloire que la notre au dernier jour.
Une prière si puissante qu’elle convoque la Loi et les prophètes : Moïse dont le visage rayonnait de gloire en descendant du Sinaï (Ex 34, 29-35 ; 2 Co 3, 7-11) ; Élie qui fut élevé aux cieux dans un char de feu (2 R 2, 11-12) . Une prière si attractive que Pierre, Jacques et Jean, eux, sont pris sous la nuée, première avance de la gloire future. Jésus est avec eux comme il est avec Moïse et Élie, comme il est avec le Père, comme il est avec nous aujourd'hui dans le mystère de sa gloire éternelle. Jésus-Christ contient toute origine, tout achèvement, toute gloire.
Par sa Transfiguration, le Seigneur ne nous invite peut-être non pas tant à imaginer, à spéculer sur ce phénomène que nous raconte l'évangéliste qu'à le laisser transfigurer nos vies. « Quand Jésus entre dans une vie, il la transfigure, il la divinise par la lumière fulgurante de son visage. » dit le cardinal Robert Sarah. (Cardinal Robert Sarah avec Nicolas Diat, La force du silence, Contre la dicature du bruit, Fayard, 2016).
Ici, l'éclat d'un sourire au milieu des larmes d'un repentir. Là, une vie déréglée ; transfigurée par la miséricorde du Seigneur, elle change. Ailleurs, le murmure d'une parole qui révèle l'amour de Dieu et des hommes ; la vie reste belle. Plus loin encore des flammes de pardon qui jaillissent au milieu des ténèbres ; une vie d'espérance est toujours plus forte que la mort. Tout proche, un être cher disparu mais que l'on sait, dans la foi, vivant auprès de Dieu. Un geste de réconfort, une parole de réconciliation, un regard de compassion, un silence d'apaisement ; le Seigneur passe. Selon notre histoire et notre nature, selon son pardon et sa miséricorde, il transfigure.
La prière de la Transfiguration manifeste Jésus-Christ comme la source et la fin de notre vie spirituelle, comme la source de toute lumière, comme l’Alpha et l’Oméga. C’est Lui, le soleil de la gloire divine d’où surgit la lumière de Dieu. Et Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et l'Esprit du Christ illumine de sa lumière éternelle le corps de Jésus.
Parlant de la Transfiguration, le théologien Romano Guardini écrira ces mots : « Ce qui se manifeste ici, ce n'est pas seulement la splendeur de l'esprit pur, mais aussi celle du corps à travers celle de l'esprit dans le corps, enfin celle de l'homme. Ce n'est pas seulement celle de Dieu, le ciel qui s'entr'ouvre, l'éclat du Seigneur tel qu'il brillait au-dessus de l'arche d'alliance, mais la splendeur du Verbe divin dans le Fils de l'homme. C'est l'arc de feu ; la réalité unique et inexprimable ; la Vie qui est au-dessus de la vie et de la mort. C'est la vie du corps, mais issue de l'esprit ; c'est la vie de l'esprit, mais issue du Verbe ; c'est la vie de l'homme Jésus, mais issue du Fils de Dieu. » (Romano Guardini, Le Seigneur, Méditations sur la personne et la vie de Jésus-Christ, tome I, Éditions Alsatia, Paris, 1946, p. 267-268)
Aussi demandons au Seigneur que la lumière de sa Transfiguration éclaire la route de notre conversion, nous donne sa célérité pour gravir la montagne et toucher à « la source et au sommet » (LG §11) de notre vie de chrétien : son Eucharistie.
Écoutons-le, il entend nos prières et les exauce. Écoutons-le, il nous parle et déjà sa Parole nous transfigure. Amen.
Frère Nathanaël
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE