Au beau milieu de la gare d’une petite ville, il y a une grande valise et assis dessus, un p’tit bonhomme de 10 ans. Étrangement, il tourne le dos aux quais et à la grande horloge. Il regarde vers la porte, droit devant lui. sa tête ne bouge pas, ses yeux ne bougent pas. Il regarde. Il attend. Et il attend depuis longtemps. Il n’a pas l’air inquiet ; il a seulement l’air sérieux.
L’employé de la gare, lui, s’inquiète. « Bonjour, tu t’appelles comment ? » ... pas de réponse ... pas même un regard ...
« Tu attends tes parents ? - oui m’sieur».
« A quelle heure ? - A trois heures - Mais ... il est cinq heures ! ».
Un long silence ... l’enfant le regarde, enfin ; et dit gravement : « ils devaient venir à trois heures ».
Tout dans son attitude exprime sa certitude, sa confiance inébranlable en la parole de ses parents. Bien sûr, il est inquiet le gamin : ses parents ont tout de même deux grandes heures de retard. Et à bien regarder ses yeux, il y a dans les coins une luisance qui trahit, peut-être, des larmes retenues. Mais il ne pleure pas, il ne panique pas, il tient bon.
On devine sans peine son combat intérieur : c’est si grave, et plus encore pour un enfant, le sentiment d’être abandonné, trahi.
Il y a donc en lui des forces qui s’affrontent : celles du doute et de la désespérance ; et la parole de ses parents, à laquelle il se raccroche, de toutes ses forces.
C’est sûrement le tumulte en lui ; mais il ne bouge pas. Il est orienté.
Dans la tempête intérieure, rien ne le distrait de l’essentiel : attendre, attendre positivement, attendre sans défaillir, même avec le cœur serré.
Sûrement il se remémore que jamais ses parents ne l’ont abandonné, qu’ils ont toujours tenu parole, qu’ils ne l’ont jamais trahi.
Il peut donc, minute après minute, tenir ferme la promesse, et le combat de la confiance.
Il pourrait se répéter ces mots du psaume 26 : « Qu’une armée se reploie devant moi, mon cœur est sans crainte ; que la bataille s’engage contre moi, je garde confiance ».
Mais comment pourrions-nous appeler cet enfant ?
- Peut-être Pierre ? L’Evangile vient de nous dire qu’il voit, mais ne dit pas qu’il croit. Alors Pierre comme prénom, cela ne convient pas.
- Essayons Jean. Lui, dans l’Evangile, il voit et il croit. Mais avant d’avoir vu, il était comme les autres disciples : « Jusque là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Donc Jean, cela ne convient pas non plus.
- Et je vous laisse imaginer la scène si l’enfant avait eu une sœur prénommée Marie-madeleine. Elle se serait affolée, elle aurait gémi, elle aurait crié partout : « mes parents m’ont abandonné et je ne sais pas où ils sont partis ! ».
Il nous faut remonter plus loin dans la Bible pour trouver un prénom à cet enfant. Remonter jusqu’à David, mais David enfant, quand il dit au roi saül à propos de goliath : « Que personne ne perde courage ». Et à saül qui rétorque : tu n’es qu’un enfant, David se remémore que Dieu l’a déjà plusieurs fois sauvé ; donc il a confiance et il fait confiance, tout comme l’enfant de la gare.
Mais cet enfant n’a-t-il pas le prénom de chacun de nous ? N’est-il pas en nous, même s’il est tout petit, même s’il a bien du mal à grandir ?
L’enfant en nous qui fait confiance, même dans la tempête. L’enfant en nous qui fait confiance à la parole d’autrui, à la parole d’un frère, à la Parole de Dieu. L’enfant en nous qui fait confiance, parce qu’il en a fait déjà la féconde expérience.
Un enfant, si fragile et si fort à la fois.
Un enfant toujours à naître en nous, au prix d’un long et difficile combat.
Un enfant qui est notre maître ... dans l’art martial du combat intérieur !
Soudain l’enfant tressaille : il a vu de loin - son visage s’illumine - d’un bond, il est debout et il coure - on entend des pas précipités, une jeune femme essoufflée arrive, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassent, longuement.
Le papa arrive ensuite ; il a sûrement garé la voiture.
Comment en effet auraient-ils pu ne pas tenir parole ?
Et qu’importe le retard, puisqu’ils sont là ...
A sa mère qui fait les questions et les réponses pour se rassurer, l’enfant dit, les larmes aux yeux : « Maman, c’est pas grave, tu es là ».
Et à son père qui l’embrasse en disant : « voilà un pt’it homme bien courageux ! », il répond gravement : « j’espère qu’il n’est ne vous rien arrivé d’embêtant ».
Comment en effet auraient-ils pu ne pas tenir parole ?
Et qu’importe le retard, puisqu’ils sont là ...
O Toi qui surgit au matin de Pâques, qu’importe Ton absence, puisque Tu es là. Alleluia !
fr. Jean-Jacques
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE