Frères et sœurs, vous connaissez bien l’expression de Karl Marx, devenue une sorte de lieu commun dans la bouche de nos frères incroyants ou moins croyants : la religion, c’est l’« opium du peuple » !
Il faut le reconnaître, Noël est sûrement le moment de l’année où les fumeries d’opium fonctionnent le plus intensément, à plein régime, où elles dégagent le plus de profit, mais pas forcément dans les églises ni avec la seule clientèle des bons chrétiens.
Ce matin, je ne vous parle pas de cet opium pour dénigrer qui que ce soit ou quoi que ce soit. Je vous en parle à cause de mon émerveillement et de l’ahurissement aussi que j’éprouve à la lecture des textes de cette messe du jour : le moins qu’on puisse dire, en réponse à Monsieur Marx, à lire le Prologue de saint Jean ou la Lettre aux Hébreux, c’est que cette religion-là, le christianisme, ne nous prend pas pour des imbéciles ! Pas question de somnoler dans de doux rêves consolants ! Tout au contraire de l’opium, la liturgie de ce matin fait en sorte de nous dégriser, elle fait appel à notre raison, à notre capacité de réfléchir, et elle met la barre très haut, elle nous veut théologiens, rien de moins ! Au lendemain d’un réveillon, d’une nuit de fête, c’est risqué, j’en conviens.
Alors cette année, mettant de côté les hautes sphères du Prologue et la Lettre aux Hébreux, écoutons de nouveau la première lecture, quatre versets poétiques du prophète Isaïe :
« Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager,
celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle,
qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! »
Écoutez la voix des guetteurs :
ils élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie
car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion.
Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem,
car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem !
Le Seigneur a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » (Is 52, 7-10)
Qui est donc ce messager qui gambade sur les montagnes ?
Qui sont ces guetteurs qui voient le Seigneur de leurs propres yeux, et même « les yeux dans les yeux » (LXX) ?
Je ne voudrais pas dire, mais est-ce qu’il n’aurait pas un peu fumé, le prophète Isaïe ?!
Ecoutons mieux… Noël est la clé de cette prophétie.
A Noël, Dieu vient au monde : Dieu à entendre, Dieu à voir, Dieu à toucher, Dieu fait homme.
Ce Dieu qui vient au monde, c’est le Verbe de Dieu, SA PAROLE, sa « parole faite chair », comme dit saint Jean dans un fulgurant raccourci.
Parce que le message est extraordinaire, les messagers de cette Parole ne peuvent être qu’extraordinaires : ce sont des anges. « Ange », dans les langues bibliques, se dit tout simplement « messager », « employé des postes », tout simplement.
Et dans notre poème d’Isaïe il y a en grec un mot de la même racine, par deux fois, le mot « évangile » : dans « év-angile », il y a « ange », avec un petit préfixe qui veut dire « bon » : « bonne nouvelle, bon ange ». Noël est peuplé d’anges, parce que le message de Noël dépasse tout ce que l’on aurait pu imaginer : Dieu qui vient au monde, Dieu à entendre, à voir, à toucher, à goûter, Dieu fait chair.
Un troisième mot résonne encore dans le poème d’Isaïe, un mot que l’on connaît bien, que l’on connaît trop, et qu’on laisse glisser sur nous sans même l’écouter : SALUT. « Il annonce le salut…Tous les lointains de la terre ont vu le SALUT de notre Dieu. »
Qu’est-ce que c’est que le salut ? C’est encore la même chose ! Le salut, c’est ce que fait le messager, il dit « Salut ! Je te salue » et, ce faisant, il apporte le salut, une bonne nouvelle qui me sauve.
Frères et sœurs, quand le facteur a remis ses colis, il s’en va, il vous quitte, il ne s’installe pas chez vous. De même les anges.
Ce qui reste en revanche, c’est le message, la lettre, le colis. L’Evangile est cette bonne nouvelle qui demeure : il n’est pas « lettre morte », il est vivant aujourd’hui encore et nous sauve. La fête de Noël n’est pas seulement une sorte d’anniversaire de la naissance d’un Sauveur il y a deux mille ans, c’est aussi cette proclamation du salut : Dieu a envoyé dans le monde sa Parole, et cette Parole est vivante pour l’éternité, c’est l’Evangile du salut.
Alors il nous revient à nous de l’écouter, de relire le message, de recevoir ainsi le salut, recevoir Dieu qui vient au monde par le moyen fragile et faible d’une Parole, le moyen fragile et faible de la chair, parce que tout aurait été anéanti s’il avait voulu venir à nous dans sa puissance et dans sa gloire. Amen.
frère David