Cependant, bien avant que lui soit ouvert ce champ de production, gratifiant pour un moine, mais malgré tout mineur pour un musicien, le P. Clément avait composé une œuvre musicale considérable, qui reste trop peu connue.
Quand il était entré au monastère, il avait déjà, bien qu'âgé seulement de 24 ans, un passé et un nom. Maxime Jacob, issu d'une vieille famille juive au patriotisme français ardent (il avait un oncle général), avait été un enfant prodige, joué en concert à 17 ans, coqueluche d'un certain milieu parisien plutôt snob, mais aussi apprécié et encouragé par des compositeurs de premier rang, tels Eric Satie et Darius Milhaud. Il avait formé avec quelques amis, dont le plus connu est Henri Sauguet, le "groupe d'Arcueil" et était parti pour connaître une carrière facile et brillante.
Mais, converti au catholicisme en 1927 sous l'influence de Jacques Maritain et surtout de la grâce eucharistique (dont il disait qu'elle joue souvent un grand rôle dans les conversions de juifs), il était entré au monastère en 1930 et, pendant une dizaine d'années, n'y avait eu d'autre activité musicale que de tenir l'orgue et de composer quelques pièces d'orgue et quelques chants de circonstance à usage communautaire. Le séisme qui bouleversa son existence fut la mort en déportation à Auschwitz de toute sa famille. Il eut lui-même à se cacher, ayant été dénoncé, puis s'engagea dans l'armée de libération. Démobilisé et rentré au monastère, il entra, peut-on dire, dans une vie nouvelle, qui dura jusqu'à sa mort, en 1977.
Il consacrait une part importante de son temps à prêcher, surtout dans des couvents de femmes, avec une préférence pour les carmélites, mais il s'était aussi remis à la composition musicale et écrivit en 30 ans une œuvre étonnamment copieuse : plusieurs centaines de mélodies, des douzaines de sonates, quatuors et pièces instrumentales diverses, dont une partie seulement fut exécutée en public, et une partie encore bien plus minime éditée ou enregistrée.
Sa vieille amie pianiste Marie-Rose Clouzot, qui le jouait et le faisait jouer, étant morte maintenant, le P. Clément est tombé dans un oubli presque complet, comme, il faut bien le reconnaître, tant de musiciens français de grande valeur. Sera-ce un "purgatoire" ? C'est, en tout cas, une destinée toute différente de celle du P. Robert, son ami de jeunesse et frère en communauté.
Pour un moine qui se voulait fermement moine (fût-ce en se permettant certaines escapades dans "le monde", et même la mondanité...), le silence n'est peut-être que l'exaucement final d'un désir de fond, peu réalisé durant la plus grande partie de sa vie monastique.
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE