Frères et sœurs, aussi surprenant que cela paraisse, l’évangile de Zachée est bien là pour nous parler de nos églises de pierre. Allons tout de suite à la parole que prononce Jésus et qui est la clé de cette fête de la Dédicace : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison ».
L’événement est tout simple, au fond, encore faut-il bien le reconnaître : quand Jésus entre dans une maison, la salut arrive pour cette maison. Quand on consacre une église neuve, le rite de l’entrée de l’évêque en ce lieu est particulièrement solennel, on fait le tour de l’église à l’extérieur en procession, avant de frapper à la porte… L’entrée est un acte décisif. Ici aussi, on voit Jésus insister, frapper résolument à la porte, quand il dit à Zachée : « descends vite, aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »
En quoi cette parole de Jésus est-elle révolutionnaire ? Pour nous, cela paraît si banal, si évident ! Peut-on prendre un peu de recul, se replonger un peu dans l’évangile, pour comprendre ? Le « salut » dans une « maison ». Où donc un événement si grand peut-il avoir lieu dans le monde juif du temps de Jésus ?
Un seul lieu, absolument un seul lieu, pour tous les juifs du monde : le Temple de Jérusalem ! C’est si vrai que chaque année, la Pâque voit affluer des pèlerins du monde entier pour venir offrir des sacrifices, des sacrifices de « salut », de paix, de louange… Le Temple est géographiquement le centre de l’évangile de saint Luc. C’est là que tout commence, c’est là qu’il s’achève aussi, pour que commence la nouvelle aventure, celle des Actes des Apôtres.
Le Temple de Jérusalem, dont on ne voit plus aujourd’hui qu’un grand mur qui est un petit morceau correspondant aux fondations de l’immense bâtiment qui était là, jusqu’en 70, lorsque les armées de Titus prirent la ville, et rasèrent le Temple, opération qui fut très longue, très considérable, et qui continua longtemps après, plus de trente ans, jusqu’à faire disparaître complètement le puissant symbole.
Il n’est pas indifférent que notre évangile, qui précède de peu l’arrivée de Jésus à Jérusalem et sa découverte du Temple, ait lieu à Jéricho. Dans les trois évangiles synoptiques, Jéricho est le verrou de l’accès à Jérusalem. Ceci reprend l’histoire sainte du peuple hébreu, lorsqu’il parvint pour la première fois dans cette terre sainte : passé le Jourdain, le peuple se trouva en face de la citadelle imprenable de Jéricho. Et c’est là qu’eut lieu l’un des prodiges les plus célèbres de la conquête : toute l’armée des Hébreux, avec les prêtres portant l’arche, fit le tour des remparts pendant sept jours, puis sept fois le septième jour, et quand eut retenti l’appel des trompes, devenues les fameuses trompettes de Jéricho, le peuple poussa une immense clameur et le rempart de Jéricho s’effondra sur place.
Frères et sœurs, cet événement-là se passe symboliquement sous nos yeux. Jésus traverse Jéricho, comme si de rien n’était, il entre dans une maison, et c’est le salut de Dieu qui entre dans cette maison. Quand il entrera dans le Temple, il éprouvera un choc, un choc d’une telle violence, que sa violence à lui, Jésus, à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, s’est manifestée comme jamais ailleurs dans l’évangile : ‘non ! cela ne peut pas être la maison de mon Père’ ‘non, cela ne peut pas être la maison dont il était dit qu’elle serait appelée « maison de prière pour tous les peuples’. Même si Jésus ne fait que quelques moulinets avec un fouet de corde et met en fuite des bœufs et des moutons, des colombes dans leurs cages, renverse des tables de changeurs, avec la monnaie qui valse… dans le tohu-bohu immense qu’est le Temple, cela n’aura vraiment été qu’un incident mineur : il nous faut imaginer ce genre de scène dans un complexe commercial non pas aseptisé avec musique d’ambiance mais grouillant comme un marché oriental, si couvert par le bruit qu’une bagarre qui éclate ici ou là n’a aucune chance d’être remarquée par les dizaines de milliers de personne qui se pressent de tous côtés. Oui, quelques agents de sécurité sont intervenus, oui, on en a parlé aux grands-prêtres, parce qu’il y avait tout un groupe avec ce Jésus, un groupe un peu fanatisé, qui ne comprenait pas bien d’ailleurs ce que faisait Jésus, mais qui devenait potentiellement dangereux. Bref ! Un signe pour quelques témoins étonnés, mais un signe complètement recouvert par la splendeur et la puissance inébranlable du Temple.
Cependant la venue de Jésus, à partir de ce moment-là, est effectivement l’équivalent de l’effondrement du Temple, que lui-même annonce à ses disciples : « il n’en restera pas pierre sur pierre ». Jésus seul est désormais le lieu du salut, et saint Jean, le dernier évangéliste, mettra les point sur les i, en plaçant cette scène au tout début de l’évangile, lorsque Jésus monte pour la première fois à Jérusalem. Le seul « sanctuaire » détruit et relevé en trois jours, désormais, c’est son « corps », même si les disciples ne le comprirent qu’après sa résurrection.
Alors s’applique ici ce que Jésus a dit clairement déjà en Galilée : il est venu pour les pécheurs, chez les publicains et les pécheurs. Aujourd’hui encore, il ne vient que pour cela : rencontrer les pécheurs que nous sommes, loger chez les pécheurs. Il le fait, tous murs effondrés, dans l’eucharistie, et il peut le faire dans la plus simple des maisons. Sa maison, c’est nous seuls, notre cœur plein de murailles, murailles de puissance et murailles de solennité, de peur, de distance avec Dieu.
Frères et sœurs, comme Zachée, soyons curieux de Jésus, curieux de voir passer Jésus, et pour cela, sortons déjà de nos murs : cette sortie personnelle, libre, c’est cela que nous accomplissons le dimanche, pour aller à la messe. Alors, si Jésus nous voit libres, il accourt et s’invite chez nous. Amen
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE