Is 49, 14-15 ; Ps 61 ; 1 Co 4, 1-5 ; Mt 6, 24-34
« Les oiseaux du ciel… les lys des champs… » Ces images nous enchantent comme lorsque nous prenons la peine de nous poser et d’admirer la nature, nous apprécions ces paroles de Jésus… mais au risque, peut-être, de les banaliser, de ne voir en elles qu’une philosophie facile de la vie qui ne vaudrait que lorsqu’on est en accord avec tous et que nous sommes en bonne santé.
Mais qu’advienne une grosse inquiétude, un évènement qui remet beaucoup de choses en question, ces paroles alors ne nous apportent aucun secours.
Rappelons que ce passage se situe dans le discours sur la montagne et cela évoque quelque chose de très important : la première montagne, le Sinaï, où déjà Dieu s’adressait à son Peuple par l’intermédiaire de Moïse pour lui donner les Dix Paroles, à ce peuple qu’Il venait de libérer de la servitude pour Le servir.
« Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force. Les paroles des commandements que Je te donne aujourd’hui seront présentes à ton cœur, tu les répèteras à tes fils… » (Dt 6, 4).
Le mot essentiel est le premier : « Ecoute ». Dieu a l’initiative. L’expérience du croyant, notre expérience chrétienne fondamentale, c’est que Dieu nous parle. C’est ce que fait le Christ sur la nouvelle montagne. Et cette Parole bouleverse toute notre vie et pas seulement pour nous dire de prendre l’existence par le bon côté !
Les paroles du Christ ont un poids étonnant. Devant les soucis de la vie qu’Il évoque par la nourriture, le vêtement, la précarité de nos jours « qui d’entre vous veut prolonger tant soit peu son existence à force de soucis ? » Il renvoie tout simplement à Celui qu’Il appelle le Père. La révélation d’une relation nouvelle à Dieu, qu’Il atteste par Sa présence, est la clef de voûte de tout cet enseignement du Sermon sur la montagne. C’est là la nouveauté de l’Evangile qui justifie l’attitude nouvelle devant la vie, à savoir que Dieu est Père et que Son Royaumes est là. Et ce sont ces expressions qui reviennent tout au cours du Sermon sur la montagne « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » « afin de vous montrer les fils de votre Père qui fait tomber Sa pluie sur les bons et les méchants… » « Ton Père qui voit dans le secret… (Parole que nous réentendrons dans quelques jours en début de carême) Votre Père sait que vous avez besoin de tout cela ».
Le Christ savait les besoins et les soucis fondamentaux d’une vie par expérience. Ces soucis sont les nôtres : justifier sa propre existence, préparer son avenir professionnel, familial, social. Le Christ a travaillé jusqu’à trente ans, Il savait ce que c’était de vivre de façon responsable. C’est vrai que chez les jeunes en précarité aujourd’hui, en chômage, s’accumulent colère et violence… La façon dont Jésus aborde les gens blessés nous montre, plus que toute parole, ce qu’est pour Lui le souci d’une existence.
Mais il savait aussi, plus que quiconque, que l’homme n’est jamais seul pour porter le souci de sa propre vie. C’est cela la Bonne Nouvelle qu’Il nous donne de recevoir dans la foi. Il n’est rien dans Sa vie qui ne soit lié à Celui qu’Il appelle ‘Son Père’. Au baptême du Jourdain la Voix s’est fait entendre : « Celui-ci est Mon Fils bien-aimé, Il a tout Mon Amour ».
Jésus n’avait d’autre parole pour justifier son existence et son action que celle-ci : « Ma nourriture c’est de faire la volonté de Mon Père ». Sa nourriture c’est-à-dire tout ce qu’il faut pour exister, avoir un avenir, un demain. Et au moment d’achever son existence terrestre ne dira-t-Il pas « Père, entre Tes mains Je remets Mon Esprit ». Ainsi, toute Sa Vie Jésus l’a référée en permanence au Père dont Il l’avait reçue et Auquel Il l’a rendue.
Et nous, frères et sœurs, qui, baptisés en Christ, remplis de l’Esprit, sommes devenus frères de Jésus et fils de ce Père des Cieux, notre vie est centrée sur le Christ Jésus Qui affirmait aux Juifs incrédules « Nul ne peut venir à Moi si cela ne lui est pas donné par le Père ». Comment ne pas être infiniment reconnaissants à notre Père des Cieux de connaître Jésus Christ, notre Sauveur bien-aimé, devenu le tout de notre vie !
Alors, en repensant aux paroles reçues par Moïse au Sinaï d’aimer Dieu par-dessus tout et de ne rien Lui préférer, comment ne pas être frappé par l’évidence de l’affirmation de Jésus « qu’aucun homme ne peut servir deux maîtres ! » L’affirmation catégorique de Jésus ne laisse place à aucune demi-mesure.
C’est le mot ‘servir’ qui est capital : se mettre au service, être esclave. Nous savons que toute l’histoire de la Bible est une histoire de libération : libération de l’esclavage, des idoles, pour pouvoir servir et aimer, servir le Seigneur et L’aimer de tout son cœur. Tout ce qui fait obstacle à cette libération s’oppose au dessein de Dieu, à Son projet d’Amour sur l’humanité, sur chacun de nous. Le monde contemporain en est une parfaite illustration : à mesure que nos sociétés se sont enrichies, Dieu est devenu le gêneur, puis le grand absent. Comme il est difficile à des possédants de penser aux autres, de partager… et on sait que les plus pauvres savent partager.
Le pape François ne se lasse pas de rappeler notre responsabilité de nantis à l’égard des pauvres, dans une société qui ne cesse de s’enrichir… au risque de se faire traiter de marxiste par des républicains américains dont certains sont milliardaires…
En tous cas, nous savons par nous-mêmes – comme Jésus l’affirme – que la possession des biens et l’abandon à Dieu sont si difficilement compatibles… et chaque fois que nous reprenons quelque chose pour nous, c’est toujours au détriment du service du Maître que nous le faisons. Et l’argent, de serviteur, devient maître, maître implacable, l’idole qui mine les meilleures volontés et pourrit nos relations humaines (pensons aux héritages), les meilleurs idéaux. Alors qu’au contraire le pauvre auquel Jésus s’est identifié, est devenu notre maître !
Dans cette Eucharistie, unissons-nous, avec tout notre amour, à l’offrande de Jésus à Son Père dans l’Esprit Qui habite en nos cœurs. Amen.
Fr. Albert
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE