Cette image du pasteur et du troupeau fait choc en ce dimanche de second tour d’élection présidentielle. Il s’agit aujourd’hui pour les françaises et les français de choisir quelqu’un qui sera à la tête de l’État pendant les cinq prochaines années. Allons-nous élire une manière de berger ? Je n’ose pas dire une manière de bergère parce que l’image n’est plus évangélique et fait plutôt penser à un autre contexte historique, à Marie-Antoinette jouant à la bergère dans le Hameau de la Reine.
Mais venons-en au texte de l’Évangile. Il est vrai que la figure de Jésus comme bon pasteur a quelque chose de rassurant, de doux, de confiant, de bucolique, de frais, de nature… Quand on le regarde, Lui. Mais quand on regarde les brebis, ou les moutons comme on veut, et que l’on commence à songer qu’ils nous représentent dans cette sorte de parabole, on est peut-être un peu moins enchantés. Pourquoi ? Parce que le quotient intellectuel de la brebis est peu flatteur pour nous et que, du coup, l’orgueil se réveille. Mais, plus fondamentalement, parce que le troupeau dont nous ferions partie, crée une indifférenciation entre nous qui est proprement insupportable. Nous nous savons unique et nous voulons de toutes les fibres de notre être un regard sur nous qui nous distingue et qui, finalement, nous aime.
Mais cette limite de l’image, Jésus ne l’ignore pas et il précise que s’il est le bon pasteur, c’est parce qu’il connaît ses brebis, qu’il les appelle chacune par son nom, et qu’il donne sa vie pour elles, c’est-à-dire, qu’il les aime ! La grande différence entre un peuple qui se choisit un président et ce passage de l’Évangile selon saint Jean, c’est que justement, l’initiative, le choix, l’élection ne vient plus du troupeau, mais de Dieu, le berger de son peuple, de Dieu, l’éternel amoureux qui choisit chacun de nous.
Limite de l’image aussi lorsqu’il s’agit de décrire cette bergerie de laquelle le berger fait sortir ses brebis lorsqu’elles sont dedans et dans laquelle il les fait entrer lorsqu’elles sont dehors pour finalement les laisser « aller et venir » en passant par lui. Comme si la bergerie n’était pas seulement un abri mais un lieu ouvert largement sur les espaces extérieurs, « les pâturages » comme les appelle Jésus. Une image de l’Église qui n’est donc pas celle de la citadelle, mais autant celle du lieu de sécurité et de repos que celle du lieu de l’envoi.
Limite, connue de Jésus, de l’image du berger et de ses brebis. Jésus, qui se dit le vrai berger, se déclare être aussi être la porte. Déclarer être le berger, c’est dire à la fois que l’on a l’initiative, que l’on guide, que l’on protège, que l’on est, d’une manière ou d’une autre incontournable. Affirmer que l’on est aussi la porte, c’est dans le même temps, dire que l’on est le vide d’un passage, une brèche dans l’épaisseur d’un mur, une absence de résistance. Comme si Jésus, le Maître, voulait s’effacer pour laisser place à autrui. Comme s’il refusait de faire obstacle à la rencontre des uns et des autres, comme s’il refusait de se limiter à ériger des interdits, à proférer des menaces et des condamnations. Jésus ne s’interpose pas, il s’efface et son effacement n’est pas une démission : il permet, qu’entre nous, naisse, existe une rencontre, une relation profonde malgré les barrières et les murs.
Quelle pourrait-être la parabole moderne qui nous aiderait à saisir que Jésus est la porte, le passage ? Ce serait peut-être celle de la chute du mur de Berlin en novembre 1989. La barrière, infranchissable, piégée, surveillée nuit et jour, érigée au pire de la guerre froide pour séparer, est abattue à coup de pics et de pioches : dans la brèche ouverte, des foules s’engouffrent, des hommes et des femmes tombent dans les bras les uns des autres. Avec un mur qui tombe, c’est la haine qui est abattue : le passage ouvert, ce vide, cette brèche à travers laquelle les hommes vivent la joie débordante d’une retrouvaille ou d’une rencontre que l’on croyait impossible, c’est l’image que prend le Christ pour parler de lui-même ! Il est le passage !
La protection que nous assure le Christ, n’est pas celle que nous donnerait des frontières imperméables, des systèmes de sécurité imparables, ni même des clôtures monastiques strictes. Sa protection, c’est son amour pour nous et sa présence indéfectible. Il s’agit alors de risquer la sortie par la brèche, ou d’accueillir celui qui vient à nous de manière inattendue, prendre le risque d’une rencontre qui est aussi le risque d’un bonheur.
Dans un instant, un autre signe, proche de celui de la brèche dans le mur va nous être donné par le Christ : celui de la fraction du pain. Pas de rencontre sans partage, pas de vie évangélique sans don de soi à l’image du don que le Christ nous fait de sa vie. Puissions-nous l’accueillir de tout cœur, lui, le bon pasteur, et fort de sa présence, franchir la porte, prendre le risque d’une rencontre et d’un don.
fr. Emmanuel
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE