Frères et sœurs, en juin dernier, à Paris il y avait un rassemblement des hommes les plus grands du monde. Parmi eux, un qui mesurait 2m46 et un autre qui chaussait une pointure de 68. Cela impressionnait des personnes qui les rencontraient dans les rues.
Les lectures de ce dimanche, à plusieurs reprises, abordent des questions de taille, si je peux dire, p.ex. la lettre aux Hébreux nous parle du Christ, le grand prêtre, le prêtre par excellence, et dans l’évangile un scribe demande à Jésus : « Quel est le premier (le plus grand – Vulgate) de tous les commandements ? » Jésus lui répond : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Il faut dire : la question est de taille, et la réponse encore plus. Mais est-ce que ces deux commandements (et il n’y a pas de plus grand que ceux deux) sont vraiment à notre mesure ? Certes, Dieu nous aime de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force (si je peux dire, en utilisant des images anthropomorphiques) ; il nous aime d’un amour démesuré, toujours plus grand que ce que nous pouvons imaginer, toujours offert, toujours là. Mais nous, sommes-nous capables d’aimer comme lui ?
Cela va vous surprendre peut-être, mais je pense que oui. Je dirais même que nous ne pouvons pas aimer autrement ; nous ne pouvons aimer que comme lui, en lui, avec lui. Bien sûr, je ne parle pas de la « taille » de l’amour de Dieu (notre amour n’est jamais aussi grand que le sien), mais je parle de sa nature, de sa texture (si je peux dire), de son contenu. Il n’y a pas d’autre amour que celui qui vient de Dieu, qui nous est donné et que, à notre tour, nous redonnons aux autres. Nous pouvons dire que notre amour c’est, au fond, l’amour de Dieu. En aimant, nous donnons chair, nous incarnons l’amour de Dieu. Cette « incarnation » de l’amour se réalise dans notre vie quotidienne : à table, au travail, dans la rue, dans des chambres à coucher, à l’église. Il se réalise dans mon regard de compassion ou de compréhension sur celui qui m’agace, dans mon regard d’amour sur moi-même, avec mes faiblesses, mes péchés (est-ce que je m’aime tel que je suis ?). Jean Paul II disait : « L’homme ne cesse pas d’être grand, même dans sa faiblesse ». Si je le crois, je peux m’aimer, je peux aimer l’autre, je peux aimer ce Dieu Crucifié, dans sa faiblesse. Je peux même aimer ma faiblesse et la faiblesse de mon prochain.
Aimer c’est prendre un risque, car l’amour nous rend toujours vulnérables, petits devant l’autre. Répondre à l’amour par amour, c’est devenir comme l’autre, vulnérable, petit par sa confiance envers lui. Nous savons cependant que cette confiance, cette vulnérabilité est parfois bafouée, par un mépris, une trahison, un abus, une emprise psychologique, une violence (qui peut d’ailleurs être très subtile).
La voie du chrétien, c’est la voie de l’homme qui ne désespère jamais, même dans des échecs, des abus. Vous savez, pendant la 2° guerre mondiale la ville de Varsovie a été complétement rasée et après la guerre, elle a été entièrement reconstruite. Bien sûr, tout n’est pas comme avant, voire rien n’est comme avant, même si certains quartiers sont reconstruits à l’identique. Je pense que dans notre vie c’est pareil. C’est possible d’avoir une belle vie, une vie épanouie, même si nous la bâtissons sur des cendres.
Frères et sœurs, je ne sais pas quelle est exactement votre taille et quelle est votre pointure, mais je sais que nous sommes tous appelés à aimer. C’est notre grandeur et notre dignité. Et si jamais vous vous dites que personne ne vous aime, regardez le Christ sur la croix. Il s’est fait si vulnérable par son amour pour nous qu’il s’est laissé crucifier. Mais le mal n’a pas eu le dernier mot sur lui. Par sa résurrection, il a montré que rien, aucun mal, aucune violence, ne peut détruire son amour pour nous. Si vous avez l’impression que personne ne vous aime, alors sachez qu’il y a au moins une personne qui vous aime plus que sa vie, Jésus Christ. Et cela avec vos échecs, vos faiblesses, vos succès aussi, tels que vous êtes, avec votre taille et même votre pointure.
fr. Maximilien
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE