" Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ", une maison de trafic, bref, un tohu-bohu informe ! Jésus, premier des indignés ? Oui, lorsque la Vérité vient s'inviter dans les faux semblants et autres façades de prétendues sagesses parées apparemment de la meilleure renommée mondaine, il pourra y avoir de la casse comme aujourd'hui où l'on voit Jésus, le Verbe de Dieu, entrer dans le Temple de Jérusalem, dans la demeure du Nom, du Nom du Père, de son Père et notre Père. Demeure apparemment encombrée de tout un bric à brac de choses qui sont autant de petites idoles alourdissant la marche, détournant l'attention de l'essentiel, bref empêchant d'être présent à la Présence de ce Dieu Vivant, Père, Fils et Esprit-Saint. Et face à cette situation, Jésus répond par son indignation, une " sainte " colère, une parole indignée de Vérité plus incisive qu'un glaive à deux tranchants. Indignation toujours actuelle de Jésus en réaction à des pratiques, à de prétendues sagesses et autres systèmes en apparence si cohérents, si séduisants et en fait si totalitaires, enfermant l'homme dans une logique stérilisante, dans une servitude d'Égypte toujours renouvelée. Oui, indignation de Jésus face à ces nouveaux esclavages empêchant finalement de grandir, d'être un vivant pouvant rendre grâce à ce Dieu créateur de l'homme à son image et ressemblance. Indignation de Jésus face au vrai scandale de l'amour qui n'est pas aimé et reconnu. Oui, les siens ne reconnaissent pas son amour, hier comme aujourd'hui et certainement nous-mêmes, quelque part en des plis et replis cachés de nos existences. Indignation de Jésus face à l'incompréhension de ses interlocuteurs apparemment sages et bien-pensants, mais complètement à coté de la logique tout-autre de ce Dieu Tout-Autre qu'aucune sagesse d'homme ne pourrait contenir et qu'aucun prodige ne saurait contraindre.
Les contradicteurs de Jésus attendaient peut-être du spectacle, des signes et prodiges merveilleux, et bien le spectacle, à l'image de ce Dieu Tout-Autre, va être tout-autre et s'inscrire dans une toute autre logique. Logique de la faiblesse d'un Dieu plus forte que l'homme, celle de la folie d'un Dieu plus sage que l'homme, celle de l'humilité d'un Dieu capable de casser cet orgueil où l'homme sait si bien s'emprisonner. Logique d'un Dieu tout puissant mais seulement en amour comme le disait un jour l'abbé Pierre à un jeune s'indignant de l'apparente inertie de Dieu face au mal dans le monde, face à la folie de systèmes totalitaires et autres cultures de mort dont l'homme semble se rendre si facilement complice et prisonnier. Mais en cette faiblesse, cette humilité et cette folie de la Croix, n'y voyons surtout pas un refus d'exister ou une complicité à se laisser écraser, bien au contraire, mais une invitation à laisser tomber ce qui n'en vaut pas la peine, à se désencombrer un tant soit peu de ce qui ne peut que ralentir la marche et empêcher la présence au Dieu vivant, bref, la vie. Et alors, le vrai signe, le vrai prodige attendu peut-être plus par Dieu que par nous, serait que notre cœur de pierre devienne un peu plus un cœur de chair, lent à la colère et miséricordieux, plein d'amour à l'image et ressemblance de ce Dieu fou qui ne sait pas quoi inventer pour nous rejoindre aux cœur de nos existences, en nos croix, échecs, ombres, deuils, dépressions et autres faiblesses où justement notre orgueil ne peut qu'être vaincu, où nous ne pouvons qu'attendre notre salut d'un autre, du Tout Autre.
Oui, le voilà aussi le vrai sacrifice qui plaît à Dieu, non un grandiose spectacle de prodiges par lesquels l'homme prétend mettre la main sur Dieu ou se prendre lui-même pour Dieu mais le sacrifice d'humilité où patiemment l'homme cherche à ajuster avec plus de justice sa relation au prochain et en cela, le décalogue est un chemin, non tant une réglementation tatillonne qu'une dynamique minimum mais à dépasser pour sans cesse ajuster cette relation sans laquelle l'homme n'est rien, mieux pour vivre cette alliance grâce à laquelle il gagne toute une dignité filiale envers ce Dieu Père, Fils et Esprit Saint. Oui, c'est bien cela le sacrifice qui plaît alors à Dieu et qui doit être accompli sans se tromper de Temple qui sera désormais le Christ lui-même, mort sur la Croix en un scandale invraisemblable, ressuscité le troisième jour contre toute sagesse mondaine. Oui, c'est désormais par la personne même de Jésus nouveau Temple que l'on aura accès au Père, par la faiblesse de ce corps qui sera supplicié, nous rejoignant ainsi sur nos propres croix, pour qu'après la résurrection, Il soit cette Présence qui attend d'être accueillie dans les temples incarnés que nous devons être. Alors, laissons le venir à sa façon, tel qu'Il est ce Dieu étonnant, laissons-le venir à nous tels que nous sommes, avec nos dons et nos faiblesses, nos blessures, bref, là où Il pourra vraiment nous rejoindre par son amour, en vérité, dans notre désir le plus profond.
frère Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE