Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, Je Suis au milieu d'eux. Voilà bien une petite phrase de Jésus qui est loin d'être anodine bien qu'elle puisse sembler évidente pour certains ou beaucoup moins aller de soi pour d'autres qui pourront penser non sans raison que Jésus est bien présent au cœur de nos solitudes. Certes, ces derniers n'ont pas tort, mais l'on pressent bien aujourd'hui par cette insistance de deux ou trois ou plus réunis au nom de Jésus une dimension essentielle que vont bien éclairer les textes du jour. Tout d'abord, vous noterez bien cette importante incise « en mon Nom », le nom, dans le premier Testament, signifiant entre autres la personne même de celui qui est nommé et donc sa présence. Incise essentielle car pour qu'il soit vraiment là, il ne s'agit évidemment pas d'être simplement ensemble mais, en son nom, liés par une qualité de relation dont toutes les lectures de ce dimanche vont nous parler. Tout d'abord, la règle suggérée de ne pas faire à autrui ce que l'on ne voudrait pas qu'il nous fasse et surtout, ajoute saint Paul, de n'avoir en commun que la dette de l'amour mutuel qui accompli parfaitement la Loi, ce qui impliquerait notamment, non de vagues sentiments bienveillants mais bien plutôt une exigeante responsabilité vis-à-vis du frère ou de la sœur qui semble s'écarter d'un véritable chemin de vie comme le souligne avec force le prophète Ézéchiel mais, selon une justice qui, mal interprétée pourrait trop facilement conforter nombre de redresseurs de tords professionnels ou pathologiques, toujours à l’affût de la moindre imperfection du voisin mais si complaisants envers eux-mêmes. L'inverse est aussi vrai et destructeur que de ne rien dire, de ne pas se sentir concerné par la mort du voisin qui ne pourra que me rejoindre moi-même, indifférence peut-être bienveillante mais mortifère. Avec Ézéchiel l'on perçoit donc une évidente obligation de vigilance envers son frère à reprendre, qu'il écoute ou non, et Jésus n'en fait d'ailleurs nullement une option facultative mais Il y ajoute bien plus, un plus que saint Paul résumera en évoquant la dette de l'amour mutuel. Oui, Jésus va plus loin dans cette responsabilité vis-à-vis du frère dont nous parle aujourd'hui saint Matthieu dans ce passage que nous retrouvons aussi chez saint Luc mais avec quelques différences bien complémentaires qu'il convient de relever. Matthieu dit ainsi : si ton frère a péché contre toi, va lui faire des reproches, s'il t'écoute, tu aura gagné ton frère. S'il t'écoute, c'est-à-dire s'il t'entend au sens de s'il te comprend vraiment, tu auras gagné non pas le fait d'avoir eu raison, mais, ton frère dans une relation redevenu fraternelle en vérité, dans la réconciliation et le pardon. Cela suppose donc que je m'arrange, vis-à-vis de ce frère ou de cette sœur, de lui rendre ma parole audible à son entendement comme à son cœur. Il ne suffit pas de lui rappeler seulement la loi, le règlement de façon abrupte au risque de provoquer chez lui un raidissement ou un blocage qui rendrait vaine toute écoute. Ce qui compte, ce n'est pas tant que j'ai fait mon devoir de dire sans ambages ce que j'avais à dire mais que mon frère entende et soit gagné et que tous les deux soyons gagnants dans une relation de confiance retrouvée au cœur de laquelle Jésus aura alors toute sa place. Saint Luc reprend cette obligation un peu différemment en disant que si le frère a péché, il faut lui faire de vifs reproches et que s'il se repent, « pardonne-lui » nous dit l'actuelle traduction liturgique, en fait, le tenir quitte de sa dette envers soi. C'est-à-dire que s'il change son cœur, s'il accepte le renouvellement de la conversion, n'exiger plus rien de lui en réparation, renvoyer sa faute, renvoyer sa dette, comme Jésus le fera si souvent en remettant les péchés. Et c'est là que Matthieu et Luc se rejoignent en ce sens que si je remets sa dette au frère, si je lui pardonne en renonçant à une quelconque compensation, alors je gagnerai peut-être le frère au sens d'une relation pacifiée et rétablie en profondeur, en vérité. Une relation qui n'est autre que celle que Jésus veut établir avec tout un chacun en nous gagnant au Père par son amour allant jusque sur une croix où Il demande à son Père de pardonner. Oui, cette exigeante relation à l'autre qu'il faut gagner et non acheter ou asservir, nous fait quelque part entrer dans la dynamique même du dessein de notre Dieu vivant. Commentant ceci, notre pape François n'hésite pas à dire que pardonner commence par « l'expérience libératrice de nous comprendre et de nous pardonner à nous-mêmes en cessant d'accuser l'autre pour se soulager faussement ». Oui, poursuit-il, « il faut prier avec sa propre histoire, s'accepter soi-même et cohabiter avec ses propres limites, y compris se pardonner, pour pouvoir avoir cette même attitude envers les autres ».
Très bien, mais certains pourront être tentés de penser que tout cela reste bien intimiste face aux défis du monde actuels et ses scandales d'ailleurs dénoncés par ce même pape François, notamment dans Laudato sii où il épingle ainsi « la faiblesse de la réaction, frappante » face aux périls imminents ou en cours. Certes, mais ces initiatives à grande échelle pour agir efficacement ne sont nullement étrangères au microcosme de la conversion quotidienne de tout un chacun de bonne volonté attentifs aux signes des temps et se sentant concernés par une action même très minime de protection de notre maison commune abritant nos relations interpersonnelles. Dans son dernier livre d'entretiens, le pape François rappelle d'ailleurs cette essentialité de la vérité dans les relations où l'on doit moins parler avec des « adjectifs » (il est croyant, il est athée, etc.) qui risque d'emprisonner, mais parler avec des « substantifs », c'est-à-dire avec une personne qui est ce qu'elle est mais avec laquelle la parole pourra toujours être échangée de façon constructive, sans ressentiment, avec amour. Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, Je Suis au milieu d'eux !
Fr. Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE