En ce premier dimanche du carême, les lectures nous renvoient à un point de départ.
Quel est-il, ce point de départ ?
Il est double : le désert, dans l’évangile, quarante jours, et le déluge, dans les deux premières lectures, quarante jours.
Pour certains d’entre nous, la vie, c’est effectivement cela, un désert, le vide, la solitude.
Pour d’autres, c’est la situation de Noë dans la première lecture : « après le déluge ». Un début d’alliance, un arc-en-ciel, on se remet à y croire, à croire la vie possible. Mais c’est encore très précaire. Parce que, quand le déluge se retire, il n’y a qu’un désert dessous. Quand un cyclone dévaste une île et se retire, il laisse un paysage complètement dévasté, désolé, anéanti. Il n’y a plus rien. Il faut tout reconstruire.
Le désert, comme le déluge, c’est la vie impossible.
Epreuve du désert, trop d’aridité ! Epreuve du déluge, trop d’eau !
On le sait bien, c’est la malédiction que redoute toute la planète, trop d’eau et pas assez d’eau ; plus de vie possible, la mort assurée ! La seule vie qu’on puisse envisager devient une survie, au jour le jour, heure après heure.
Il est bien dans ces deux situations, le point de départ. Le point de départ du chrétien, c’est son baptême, et le baptême est bien plus qu’une goutte d’eau sur le front, il est une plongée, un déluge, il est une mort avec le Christ, une plongée dans les eaux de la mort pour renaître avec lui, pour ressusciter avec lui. Il est une traversée.
Mourir et ressusciter, c’est traverser l’épreuve. Avoir été baptisé, c’est avoir traversé, et renaître, entrer dans le monde d’une vie nouvelle, possible.
Rappelons-nous la création du troisième jour. Ce troisième jour nous intéresse tout particulièrement, parce que c’est aussi le jour de la Résurrection. Que se passe-t-il au troisième jour ?
Dieu rassemble en un même lieu les eaux d’en bas pour qu’apparaisse du sec, de la terre sèche, et il donne des noms à ces espaces, « mer » et « terre ». Dans la foulée, il donne l’ordre à la terre de porter de l’herbe, des plantes, des arbres, des fruits. Ce végétal, cette végétation, c’est ce que ni la mer seule ni la terre seule ne savent produire, ce que le déluge et le désert anéantissent, c’est l’habitable, le monde de la vie, et non plus de la survie. La terre habitable, hospitalière, c’est l’œuvre du troisième jour.
Frères et sœurs, la résurrection n’est pas quelque chose qu’un Christ Superman se réserve jalousement en nous regardant de haut, ‘pauvres petits humains qui ne savent même pas ressusciter’, non ! C’est tout le contraire. Saint Paul l’a dit dès le début et nous le répète à chaque temps pascal et à longueur d’années : « vous êtes ressuscités avec le Christ ! ». Nous sommes ressuscités parce que nous traversons l’épreuve avec le Christ. Tout au bout de notre vie, il y aura une traversée de la mort, avec le Christ, mais sans attendre ce dernier moment, le Christ nous fait déjà tous les jours traverser toutes sortes d’épreuves, avec lui justement.
L’œuvre de la résurrection, l’œuvre que le Ressuscité fait en nous, c’est de rendre la terre habitable, pour nous et par nous ! Voilà l’œuvre qui nous est confiée : traverser les déluges, traverser les déserts, et faire de notre terre un lieu qui porte fruit, un jardin. Telle est l’œuvre du troisième jour.
Cela paraît trop difficile, au-delà de nos forces ?
Prenons quelques expressions de tous les jours.
Le Christ qui m’apprend à ressusciter, c’est quand j’arrive à ne pas me laisser « submerger ». Se laisser submerger, c’est laisser le déluge prendre toute la place.
Le Christ qui m’apprend à ressusciter, c’est quand je ne laisse pas ma vie devenir un désert, quand je sème, et quand je plante, et quand j’arrose, quand je veille à rendre ma vie habitable.
Habitable pour moi, et habitable pour les autres.
Le carême nous est proposé pour réapprendre à passer de la survie à la vraie vie, de la solitude à la communion, de la table rase à la table ouverte, partagée, du macadam implacable au jardin hospitalier.
Vous trouvez que ça part dans tous les sens ? Mais oui, justement, le signe de la vraie vie, c’est l’abondance du sens, la fête des sens, non pas un sens unique, mortel, comme un couloir d’aéroport, mais la profusion d’un jardin qui appelle à la promenade, une vie où la liberté a de quoi se donner libre cours, une vie qui fait place à la beauté, à la gratuité.
Au seuil de ce carême, demandons-nous chacun où nous en sommes : ce qui me submerge, et ce qui me désole, me dévaste, et puis tout ce qui est là à végéter, toute cette végétation possible dont je ne prends pas suffisamment soin, qui demande mon attention, toute la vie offerte, à côté de laquelle je passe trop vite, négligemment.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE