Frères et sœurs, la plupart d’entre nous aiment le dimanche. C’est un jour du repos, du jardinage, un jour où on peut faire du sport, voir un film, visiter sa famille, passer un temps agréable ensemble. En général on se lève plus tard, on se dit : « aujourd’hui je vais faire quelque chose que j’aime bien et pour quoi je n’ai pas de temps en semaine, p.ex. je vais faire une balade à la Capelette, je vais faire du vélo ». Mais, il peut arriver, que votre enfant est malade ce matin ou qu’il y a une fuite d’eau dans votre salle de bain ou, au monastère, que c’est vous qui faites la cuisine ce dimanche. Alors, ce dimanche-là vous êtes obligés de choisir entre votre enfant et votre vélo, entre votre salle de bain et une belle promenade, entre vos frères et votre repos. Bref, c’est une question des priorités. Qu’est-ce qu’il est le plus important pour moi ?
C’est justement des priorités que nous parle aujourd’hui Jésus quand il dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » Alors, quoi choisir : Jésus ou nos proches, Jésus ou notre famille, Jésus ou nos amis ? Il me semble que ce n’est pas tout à fait d’un tel choix qu’il s’agit ici. Il ne s’agit pas d’une compétition entre deux amours, d’un « ou bien… ou bien ». Il s’agit ici de passer d’un espace en deux dimensions (moi et mes proches, moi et mon ami) à un espace en trois dimensions (3D) ; il s’agit d’entrer dans un triangle d’amour : Dieu, les autres et moi.
Mais pourquoi entrer dans ce triangle ? Il me semble qu’il y a plusieurs raisons pour cela.
1. Tout d’abord, passer par Dieu, faire un détour par le Christ est paradoxalement le plus court et le plus sûr chemin pour entrer en communion avec les autres, pour relier un père à son fils, une fille à sa mère, un frère à sa sœur. Si j’aime le Christ plus que mon père, alors je puiserai en Christ la force de pardonner à mon père, je puiserai en Christ la joie de le servir dans sa vieillesse comme le Christ qui a lavé les pieds à ses disciples. Si nous pensons aux relations qui nous tiennent le plus à cœur, que-ce que cela changerait si on les faisait passer par le Christ ? Qu’est-ce que cela changerait d’abord en nous ?
2. Passer par le Christ relativise nos attentes envers ceux que nous aimons : ils n’ont plus à être parfaits ou à nous donner un amour absolu et inconditionnel qu’ils ne peuvent pas nous donner. Ils n’ont plus à faire ce que nous voudrions qu’ils fassent. Ils n’ont plus à nous comprendre parfaitement. Cela concerne nous aussi, parce que ni eux, ni nous, nous ne sommes pas la source de l’amour. Nous puisons notre amour en Dieu. C’est lui qui est amour, c’est lui qui est sa source. C’est pourquoi je peux aimer, au moins un peu, mon frère qui me blesse, qui me méprise peut-être. Je peux l’aimer non parce que je dois l’aimer ; je peux l’aimer pour ce qu’il est aux yeux de Dieu : son enfant bien-aimé. En passant par le Christ, nous deviendrons plus humains, plus libres, plus respectueux.
3. Et si une relation est tellement difficile que nous n’arrivons pas à aimer l’autre, même si nous prions pour lui, même si nous voudrions ? C’est encore une bonne occasion pour faire un détour par le Christ. « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi », nous dit Jésus aujourd’hui. Il s’agit donc de ne pas porter sa croix tout seul, mais avec le Christ, car il y a des relations qui sont des vraies croix, des vraies souffrances. Porter sa croix en compagnie du Christ nous aide à accueillir la réalité telle qu’elle est, à accepter notre impuissance vis-à-vis de certaines choses. Ma relation avec le Christ me permet de ne pas m’enfermer sur ce qui ne va pas, sur ma blessure, sur une relation juste horizontale avec celui qui me fait souffrir. Passer par le Christ, c’est ouvrir sa vie à la transcendance, à la lumière divine.
Frères et sœurs, aimer le Christ ou comme le dit S. Benoît : « ne rien préférer à l’amour du Christ » (RB 4,21) ou encore : « estimer n’avoir rien de plus cher que le Christ » (RB 5,1), nous aide à être meilleurs parents, meilleurs enfants, meilleurs frères et sœurs. Aimer plus le Christ nous aide à aimer plus nos proches, car, si Dieu est à la première place, tout est à la bonne place dans notre vie.
fr. Maximilien
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE